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années contre l’indifférence du public (1797). Elles furent remplacées par l’Almanach des Muses. M. Schlegel inséra plusieurs articles dans ce nouveau recueil, ainsi que dans la Gazette littéraire de Iéna ; ce qui ne l’empêcha pas de fonder lui-même, avec son frère, une publication périodique sous le nom d'Athenœum (1798). Le ton de critique amère que l’on regrette de trouver dans l’ Athenœum s’explique sans doute par l’aveuglement ou la mauvaise foi des adversaires que le jeune écrivain avait à combattre ; on doit cependant reconnaître qu’il s’y est trop souvent et trop facilement résigné. M. Schlegel suit en général le précepte d’Horace : il pardonne volontiers aux défauts en faveur des beautés. Écrivain original et poète, il était, plus que personne, à même de déterminer les droits de la critique sur les œuvres de la pensée, et la critique n’est souvent pour lui que le privilège de sentir et d’admirer plus vivement. Il a des momens d’émotion où il s’élève par l’enthousiasme à la hauteur des grands génies dont il se fait l’interprète ; mais quelquefois aussi il descend de ces sphères élevées. Le sarcasme alors ne lui coûte pas plus que l’éloge ; il s’abuse volontiers sur l’innocence des armes qu’il emploie, et fait une guerre implacable à la médiocrité ou à ce qu’il confond avec elle ; c’est par là que ses erreurs ont eu un si fâcheux éclat, et ont donné tant de prise contre lui.

Rien n’égale la prodigieuse activité de M. Schlegel à cette époque. En Allemagne et en France, en Italie et en Angleterre, il n’y a presque pas une publication nouvelle qui échappe à sa censure. Beaucoup de ces travaux épars de tous côtés sont aujourd’hui perdus pour nous. Heureusement M. Schlegel en recueillit lui-même une partie : en 1801, il publia, de concert avec son frère, sous le nom de Charakterisliken und Kritiken, des articles qui avaient déjà paru, pour la plupart, dans des recueils périodiques. Dans le premier volume, il avait reproduit une analyse détaillée de Roméo et Juliette, prélude de ses études sur le théâtre anglais, et des lettres sur la poésie, la mesure et le langage (weber Poesie, Sylbenmass und Sprache). Dans ces lettres, M. Schlegel défendait les droits de la poésie contre les Lamottes de l’Allemagne. Quand on eut renoncé à tout ce qui faisait le prestige de l’art, quand on se borna, par un sentiment d’égalité jalouse, à représenter sur le théâtre la vie de tous les jours, les vers durent bientôt paraître un luxe inutile ; c’était d’ailleurs une conséquence de la philosophie matérialiste du XVIIIe siècle. Si l’ame est une faculté purement passive, toutes nos idées nous viennent des objets extérieurs, et le langage, expression de nos idées, doit se borner à représenter