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jettent là ces haillons, au lieu d’y coudre follement le drap neuf. Qu’au lieu d’un vain travail d’impossible réparation, d’un travail dont l’unique effet serait d’agrandir la rupture, ils imitent le père céleste, qui, lorsque l’hiver a passé sur ce qu’avait vivifié le soleil, renouvelle le vêtement de la terre. » Quand le Christ a prêché la liberté, l’égalité, les peuples n’ont pas compris sa parole, ou bien, assoupis dans leur misère, ils ont manqué de ce qui seul assure le triomphe, le courage de vaincre et celui de mourir. Aujourd’hui le salut est proche. Qu’est-ce que le salut annoncé par l’Évangile, suivant M. de Lamennais ? Le salut, c’est le développement de la vérité et de l’amour dans le monde. Or, qu’est-ce que le monde dans la pensée et le langage de Jésus ? C’est l’assemblée des enfans de Satan, des hommes d’iniquité, c’est la société corrompue à laquelle Jésus est venu en substituer une autre fondée sur des maximes entièrement opposées. Aujourd’hui tout est corrompu, tout, sauf le peuple, chez lequel il faut chercher toutes les sympathies, tous les dévouemens, tous les héroïques sacrifices. Aussi est-ce au peuple que Jésus s’adresse ; c’est le peuple qui a fondé son règne dans le monde, et c’est par le peuple que naîtra l’ère nouvelle. Comme le monde actuel n’est guère qu’une vaste organisation du mal, le règne du bien, le règne de Dieu, ne peut s’établir que par une destruction préalable et complète. Ce monde, c’est la cité de désolation, il faut qu’elle tombe, et le jour des vengeances divines viendra, lorsqu’on ne l’attendra point. Hélas ! pourquoi M. de Lamennais, au moment de prendre la plume pour commenter l’Évangile, ne s’est-il pas rappelé cette belle parole de Pascal : « Le style de l’Évangile est admirable en tant de manières, et entre autres en ne mettant jamais aucune invective contre les bourreaux et ennemis de Jésus-Christ. »

L’ame est tristement froissée par ces interprétations violentes données aux enseignemens du Christ. Voilà donc l’Évangile devenu un livre de parti ! L’occasion était belle cependant, puisque M. de Lamennais se tournait encore une fois vers ce sanctuaire d’une religion dont il a été longues années le ministre éloquent et sincère, l’occasion était belle pour demander à ce sanctuaire la paix, le repos, si nécessaires à un cœur brisé par tant de secousses et de combats. La passion a été plus forte, et sous son empire nous voyons aujourd’hui l’auteur de l’Essai sur l’Indifférence dénaturer cet Évangile qu’il avait lu tant de fois avec d’autres pensées. Il est vrai que les mots de foi, d’espérance et d’amour reviennent souvent sous la plume de M. de Lamennais, mais on sait maintenant à quoi s’appliquent ces mots. L’espérance qu’on nous prêche ici, c’est l’espoir d’une subversion générale. Quant