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du devoir : voilà tout ce qu’il importe de connaître. Mais le nouveau commentateur des Évangiles n’y songe point. Comment pouvons-nous savoir si les Évangiles contiennent véritablement la règle immuable du droit et du devoir, sans connaître l’éternel problème de la nature et de son auteur ? Pour sonder ce problème, il y a deux voies : la foi et la science. Or, M. de Lamennais prétend aujourd’hui isoler l’Évangile de l’une et de l’autre. M. Buchez a été plus logique quand il a imaginé, avant M. de Lamennais, de se servir de la parole de Jésus-Christ dans des desseins politiques. Il s’est déclaré catholique fervent, il a proclamé sa foi dans la divinité du Christ, il a jeté l’anathème contre l’arianisme : ce langage est ferme, décidé ; il porte avec lui ses raisons. Écoutons maintenant M. de Lamennais obligé de s’expliquer sur l’Évangile de saint Jean : « La doctrine du Verbe, répandue dans le monde grec sous une forme philosophique, avait pénétré chez les Juifs, et peut-être s’y était développée d’elle-même, car elle a des racines naturelles dans l’esprit. » Voilà un peut-être admirable ! M. de Lamennais nous dit aussi qu’on trouve dans l’Évangile de saint Jean quelques-uns des premiers fondemens du système dogmatique complété par saint Paul et duquel est sortie la philosophie chrétienne. Que faut-il penser de ce système, de cette philosophie ? Ne pressons pas trop M. de Lamennais sur ces questions, car il nous appellerait faux docteur et pharisien.

L’auteur du Livre du Peuple et des Amschaspands, cherchant un nouveau cadre pour ses prédications démocratiques, a donné cette fois la préférence à l’Évangile sur ses propres inventions, et c’est sous la forme d’un commentaire attaché à chaque chapitre qu’il s’est remis à prêcher ce que nous avons appelé, il y a quelques années, le radicalisme évangélique. Cette fois, il n’occupe plus lui-même le devant de la scène en prophète ou en poète : il s’est mis derrière le Christ, dont il interprète les paroles, dont il travaille à se faire un complice dans sa haine contre la société. « Les temps approchent, s’écrie le commentateur ; un sourd murmure annonce la délivrance ; on entend de tous côtés comme le craquement de fers qui se brisent ; les puissans troublés se sentent défaillir ; les faibles relèvent la tête ; un dernier combat va se livrer. » Pourquoi ce dernier combat ? Pour établir sur la terre le règne de Jésus ? Mais le Christ n’a-t-il pas dit que son royaume n’était pas de la terre, et qu’il ne régnerait qu’au ciel ? Non, c’est une erreur, c’est une doctrine abominable. Le royaume de Jésus est de ce monde, c’est l’avenir, c’est la société nouvelle que les bons doivent établir sur les ruines de la société présente. « Qu’ont aujourd’hui les peuples pour se couvrir, que des lambeaux ? Qu’ils