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les plus inaccessibles des Balkans, et visiter sans crainte des tribus dont l’Europe, jusqu’ici connaissait à peine le nom ; mais ces tribus n’en restent pas moins obstinées dans leurs mœurs natives. Toujours occupées de guerres au-dedans ou au dehors, pour leur compte ou pour celui des monarchies voisines, elles sont encore ce qu’elles étaient il y a mille ans. Ce sont incontestablement les moins mélangées d’entre les tribus slaves.

On connaît maintenant les motifs qui m’amènent à présenter les Illyriens comme ceux de tous les Slaves qui ont le mieux conservé le type moral et les traits de l’antique physionomie slavone. Ce type est surtout empreint dans les divers dialectes dont se compose la langue de l’Illyrie. L’illyrien primitif, devenu au moyen-âge la langue d’église, nous paraît celui de tous les idiomes slaves qui offre les caractères d’antiquité les plus incontestables, et qui, par conséquent, s’approprie le mieux à un cours d’études linguistiques sur cette famille de langues. S’il devient un jour possible d’ajouter à ce cours général un cours pratique et spécial, un cours de grammaire et d’explications philologiques, ce sera l’illyrien, messieurs, qui en formera la base, ce sera l’illyrien dont nous lirons en commun les auteurs classiques. Puisse ce résultat m’être accordé ! je le regarderai comme mon plus beau triomphe.

J’ajouterai en finissant un dernier mot sur les résultats généraux auxquels cette chaire me semble destinée à concourir. On a prétendu qu’une pensée de propagande à l’extérieur avait inspiré la création de la chaire slave de Paris. Si vous entendez par propagande cette agitation qu’appelle une grande partie de la jeunesse slave, et qui consiste à surexciter, par tous les moyens possibles, les passions des opprimés contre une oppression qu’il semble bien difficile de secouer dans, le moment actuel, j’avouerai franchement qu’une telle propagande me paraît imprudente et cruelle ; mais, en retour, aucun effort ne me coûtera pour propager les idées de liberté, par la fraternité et le pardon, au sein de ces sociétés malheureuses, où tout respire encore la haine et la guerre. Je verrais le plus ardent de mes vœux accompli, si je pouvais contribuer à convaincre les Slaves que ce n’est point par des doctrines exclusives et haineuses, mais en se tendant tous la main les uns aux autres, et surtout en sachant placer héroïquement, au-dessus même de leur intérêt national, l’intérêt du genre humain, qu’ils parviendront enfin à intéresser l’Europe entière et à émanciper leur patrie.

Sans doute, le joug des Slaves est dur. En traversant ces masses d’hommes asservis, on conçoit le désespoir qui porte les ames énergiques de ces contrées à saisir la plume comme un poignard, à se jeter dans la littérature comme dans une guerre acharnée. Quoique sympathisant avec ces martyrs, vous ne me demanderez pas la véhémence de leur langage. Ma position ici n’est point ce qu’elle serait ailleurs ; ici je dois m’interdire religieusement toute tendance à imposer mes opinions ; je dois exposer les faits et les idées, et laisser chacun des auditeurs juger en lui-même suivant sa conscience. Le professeur de cette chaire a pour unique mission d’observer et de dire ce qu’il voit : il est, il doit rester voyageur en pays slave. Cette absence de tout