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point trop affligée, et, enfin, elle a consenti à tout ce que je désirais. Il est décidé que j’entrerai comme pensionnaire dans votre couvent ; c’est mon oncle lui-même qui me conduira à Paris. Ma mère, qui se plaît beaucoup à la campagne, et qui a fait entreprendre de grands travaux, passera toute cette année à Belveser avec Mlle Irène.

« Oh ! ma chère Anastasie, je vais donc enfin vous revoir ! Mon pauvre cœur tressaille à cette pensée, et j’éprouve autant de joie que j’ai eu de douleur à vous quitter.

« Savez-vous, cousine, ce que m’a dit l’autre jour mon oncle Maragnon ? C’est que je vous aime tant que je suis capable de prendre le voile pour passer ma vie près de vous !

« Adieu, mon amie et ma sœur ; vous dont l’ame est si paisible et si sainte, vous qui peut-être ne laissez plus qu’une petite place dans votre cœur aux affections terrestres, aimez-moi un peu cependant, et priez Dieu pour votre Éléonore. »

Anastasie avait écouté cette lecture avec un inexprimable saisissement, une sorte de joie douloureuse qui pénétrait son ame et faisait couler de ses yeux des larmes silencieuses.

— Eh bien ! ma fille ? lui dit la mère Angélique en l’interrogeant du regard.

— Ah ! ma mère, répondit-elle, je serai heureuse de revoir Éléonore ; mais la pauvre enfant ne se figure pas la vie qu’on mène ici… Elle ne sait pas que les pensionnaires sont séparées des novices, et qu’elle ne me verra guère que dans le chœur. Je redoute d’ailleurs pour elle les petites privations auxquelles tout le monde est soumis ici… Elle a été élevée avec tant de délicatesse et dans une maison si opulente… Pourra-t-elle s’habituer à la discipline de la classe et au pain sec ?…

— Je suis certaine qu’elle se trouvera fort bien ici, répondit gravement la mère Angélique. Il est évident qu’elle a pour le mariage une vocation forcée ; l’on verra ce que cela deviendra plus tard. Ma chère fille, je vous permets de lui écrire que nous l’attendons.


Mme CHARLES REYBAUD.