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résultat et secouer l’indifférence de l’opinion endormie dans les intérêts de l’ordre le plus vulgaire ?

Le seul sentiment vif encore dans le pays, celui qu’il serait du moins facile de développer, c’est la croyance à une corruption politique qui fausse le mouvement naturel et tous les ressorts du gouvernement représentatif. L’invasion des députés dans l’administration, les exigences des électeurs, dont l’influence individuelle est d’autant plus grande que la circonscription électorale est plus petite, la transformation d’un mandat politique en mandat d’intérêt privé, tel est le thème exagéré sans doute, mais spécieux, qui rencontre le plus de faveur dans le pays. Si l’élection de clocher est chère à d’innombrables intérêts, elle est difficile à défendre en théorie, et le jour plus ou moins prochain où le pays se réveillera pour discuter des théories, l’idée de l’extension des circonscriptions électorales sera probablement celle qui rencontrera le plus de faveur à ses yeux.

Le vote au chef-lieu sera donc, selon toute apparence, la première question mise à l’ordre du jour par la gauche dirigée par M. Odilon Barrot, et il est à croire que dès le débat de l’adresse, et pendant tout le cours de cette dernière session, des manifestations éclatantes seront faites dans ce sens. Jusqu’à quel point le centre gauche voudra-t-il s’associer à la tribune, et par ses organes dans la presse, à une mesure dont l’effet certain serait de rendre impossible l’élection de la moitié de la chambre ? Nous inclinons à croire que rien n’est encore bien arrêté sur tout cela, et que la fusion annoncée d’une manière éclatante et précipitée par certains journaux n’aura aucunement pour effet d’enlever à chacune des fractions de l’opposition constitutionnelle le caractère particulier qui la distingue.

Ce n’est pas vers la gauche que des intérêts d’ambition et d’avenir peuvent faire incliner le parti qui suit l’impulsion de l’honorable M. Thiers ; si une telle alliance avait pour effet de lui donner un programme plus populaire et mieux défini, elle aurait aussi pour conséquence de lui créer d’insurmontables embarras au jour de la victoire. Un programme réformiste, utile peut-être pour faire des élections en ce qu’il réveillerait quelques passions au cœur du pays et permettrait de compter sur l’appoint d’une partie des voix légitimistes, serait une difficulté sérieuse à laquelle le centre gauche ne voudra pas s’exposer. D’ailleurs, le premier effet de ce programme serait de détacher de lui les vœux et les sympathies d’un certain nombre de membres du parti conservateur, rentrés pour la plupart, il est vrai, dans les rangs de la majorité, mais auxquels leur infructueuse tentative de la session dernière a fait une place à part, et qui demeureront vis-à-vis du cabinet, même lorsqu’ils l’appuieront de leurs votes, dans un état de réserve sur lequel personne ne saurait prendre le change. Ces honorables députés avaient cru utile et possible, au début de la session de 1845, d’élargir les bases de l’opinion conservatrice par une extension de la majorité et une recomposition du cabinet sous un nom respecté de tous. Cette pensée n’ayant pas été agréée par leurs amis politiques, dont ils n’avaient pas entendu se séparer entièrement, leur posi-