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Est-ce qu’il n’y aurait pas moyen de différer, de différer encore long-temps, une année, par exemple ? Nous aurions ainsi le temps de nous accoutumer à cette idée de mariage qui nous contrarie à présent. — Ma bonne Éléonore, me répondit-il, je ferai tout ce que tu voudras. — Eh bien ! lui dis-je alors, déclare à ton père que tu veux faire d’abord un voyage dans le Levant ; il en a été question déjà, et l’on devait envoyer un commis de la maison à ta place. — Oui, mon père entendra peut-être à cela, fit Dominique en réfléchissant ; il s’agit de monter une maison à Brousse, et ma présence là-bas fera mieux que celle d’un agent. Puis il ajouta avec un soupir : — Mais, ma pauvre enfant, il ne faudra pas moins que ta destinée s’accomplisse, et la mienne aussi… — C’est égal, lui dis-je, ce ne sera pas tout de suite du moins… Alors il me prit la main et continua d’un ton pénétré : — Tu ne vois pas clair, enfant, dans le fond de ton cœur ; que le ciel te garde dans cette ignorance ! Moi je sais ce qui se passe dans le mien ; je sais qu’il aspire à un bonheur impossible. Jamais je ne conçus la moindre espérance, jamais je n’ai essayé de réaliser des vœux chimériques ; je me suis résigné. Puisses-tu faire comme moi ! J’agirai pourtant comme tu le désires. À ces mots, il quitta le balcon. Le même soir, il parla si bien à mon oncle de la nécessité de ce voyage à Brousse, et de la convenance qu’il y aurait à différer d’une année notre mariage, que tout fut arrangé. Huit jours plus tard il partit, et nous retournâmes à Belveser. Hélas ! cousine, j’appris alors que vous aviez quitté Colobrières, que vous étiez au couvent, et que vous aviez résolu de prendre le voile. Aussitôt il me vint comme une inspiration…

« Voyez-vous, cousine, je suis une jeune fille dont l’éducation n’est point du tout achevée ; ma pauvre mère, ayant perdu tous ses autres enfans, m’a élevée avec des faiblesses infinies ; je suis un véritable enfant gâté, et, comme dit Mlle Irène, on n’a point du tout cultivé en moi les dons de la nature. Heureusement, il est temps encore de parfaire cette éducation manquée. C’est ce que j’ai dit à ma mère en la suppliant de me mettre pour une année au couvent de la Miséricorde. J’ai une foule de défauts dont je me corrigerai dans cette sainte maison : j’y perdrai l’habitude de faire ma volonté ; les bons exemples me rendront humble, soumise, patiente, et je serai si contente de vivre près de vous, que tous les devoirs me-sembleront faciles. Ma bonne mère a un peu résisté d’abord, mais je lui ai donné de si bonnes raisons, qu’elle s’y est enfin rendue. Comme il était décidé que je la quitterais aussitôt après mon mariage, pour entreprendre un long voyage à l’étranger, l’idée de cette séparation ne l’a