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poursuivre leur invincible cours. Sans doute, considérée en elle-même, dans les résultats positifs, pratiques, qu’elle a pu avoir, une telle situation recélait des vices secrets ; elle a été la source de sérieux dangers qui se sont révélés par la suite. C’est par cette scission douloureuse et prolongée, en effet, que se peuvent expliquer bien des incertitudes, bien des tiraillemens intérieurs, ce qu’il y a en souvent de factice dans les mouvemens politiques de l’Espagne, et ces recours fréquens à l’imitation étrangère. Le peuple et les chefs replacés naturellement à sa tête ont paru plus d’une fois ne pas se comprendre ; ils ne marchaient point d’un pas commun, ils n’entrevoyaient pas également le but. Ceci est la part faite au malheur, qui ne passe pas vainement sur une nation et sur les individus ; mais, somme toute, quelle génération plus que celle-là a fait preuve d’un patriotisme dévoué, éclairé, efficace ! Quels hommes plus que ceux qui la composent ont agi utilement dans les jours difficiles ! Si la vue habituelle d’institutions fortement assises et jouant régulièrement dans d’autres pays a pu leur causer quelques illusions qui aient été les mobiles de leur pensée ou de leur conduite, il en est une qui les doit honorer : ils ont cru, dès les premiers momens, en mesurant leurs souffrances, que la liberté avait livré assez de batailles pour se fixer enfin, qu’elle était assez dégagée des incertitudes pour ne point voir dans l’ordre qui l’affermit une menace incessante de destruction ; et aujourd’hui encore, après dix années d’agitations, ne se retrouvent-ils pas parmi ceux qui ont entrepris la noble tâche d’organiser les forces rajeunies de la Péninsule ?

C’est par la mort de Ferdinand VII que l’Espagne se trouva replacée sans retour dans la voie moderne. Ferdinand fit plus en mourant qu’il n’avait fait pendant sa vie : il donna une royauté à l’Espagne libérale ; de ses mains défaillantes et irrésolues, il lui remit une bannière à opposer au despotisme étroit représenté par don Carlos. On ne peut nier que cette circonstance n’ait été décisive pour l’avenir constitutionnel de la Péninsule ; elle ralliait en faisceau les convictions progressives les plus avancées et les opinions scrupuleuses qui désiraient des réformes, mais voulaient les voir s’accomplir à l’abri de l’autorité royale ; elle traçait un cours normal aux idées nouvelles, et accroissait leur puissance, assurait leur succès en facilitant la modération. L’amnistie rouvrit aussitôt les portes de l’Espagne aux proscrits de tous les temps comme aux défenseurs naturels d’Isabelle. Le pouvoir passait de M. Zea Bermudez à M. Martinez de la Rosa, qui promulguait le statut royal, et à M. de Toreno. Ainsi, cette royauté d’une enfant protégée par une femme énergique, par Marie-Christine,