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contribuèrent pas peu sans doute à éveiller en lui le sentiment révolutionnaire exalté qu’il déploya en 1812 et en 1820. La position de sa famille l’appelait d’ailleurs à prendre une part active aux luttes qui s’ouvraient. Saavedra avait été de bonne heure pourvu d’un grade dans l’armée ; il était officier dans les gardes-du-corps lorsque la journée du 2 mai rendit l’insurrection générale. C’est à ce titre qu’il fit la guerre de l’indépendance et qu’il exposa noblement sa jeunesse à tous les dangers ; c’est à ce titre qu’il se trouvait, le 18 novembre 1809, à la bataille d’Ocaña, où, frappé à la tête et à la poitrine et laissé parmi les morts, il ne dut son salut qu’à un hasard bienfaisant. Le dernier combat auquel il assista fut le combat de Chiclana. C’était le moment où le sol de l’Espagne allait de nouveau être libre. Ainsi, de 1808 à 1814, sa vie est livrée au jeu des batailles, et se poursuit à travers le bruit des armes, le mouvement des insurrections, les incertitudes publiques. Sa destinée agitée est la destinée même du pays. Les colères de Ferdinand VII, qui frappèrent tant d’hommes distingués, épargnèrent du moins Saavedra, et lui laissèrent même d’heureux loisirs. La révolution de 1820 le rejeta tout à coup dans des luttes nouvelles, dans les luttes politiques. Il était député de Cordoue en 1822, et comptait avec MM. Isturitz et Galiano parmi les membres les plus exaltés des cortès. En fallait-il davantage pour que la vie de Saavedra allât aboutir à d’autres épreuves, à celles de la proscription, plus pénibles et plus dures cent fois que les hasards de la guerre ?

Au milieu de ces puissantes diversions de la guerre et de la politique qui semblent devoir absorber les facultés d’un homme, ce qui est à remarquer, c’est la persistance, le développement de l’instinct littéraire de Saavedra. Soldat, il saisit toutes les occasions qui le ramènent vers l’étude, vers la culture de l’art, et cela prouve à quel point il était né poète. Dès 1807, il s’était lié avec le comte de Haro, aujourd’hui duc de Frias, et don Mariano Carnerero, et avait rédigé avec eux un journal sous la direction de Capmany. Le même entraînement de ses goûts littéraires, autant que la communauté des sympathies politiques, le rapprochait en 1811, à Cadix, de Gallego, de Quintana, de Martinez de la Rosa. En 1813, il publiait ses premiers essais, parmi lesquels se trouve le Paso Honroso, poème de jeunesse, oublié et médiocre au fond, mais où on peut déjà distinguer une heureuse facilité d’inspiration et une aptitude naturelle à manier la langue poétique. Il faut l’ajouter : quels que fussent les réels penchans de Saavedra, il ne les laissa triompher, il ne s’y livra entièrement que lorsque son épée ne pouvait plus être utile à l’indépendance espagnole.