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fût beaucoup plus pure ni exempte d’arrière-pensée : il songeait à l’avenir et à cultiver cette jeune fleur d’Asie. Étant revenu en France, il y amena l’enfant[1] et la plaça, en attendant mieux, chez sa belle-sœur, Mme de Ferriol. Celle-ci, Tencin de son nom, sœur de la célèbre chanoinesse et du futur cardinal, était digne de la famille à tous égards, belle, galante et intrigante. Le mari, M. de Ferriol, receveur-général des finances du Dauphiné, et conseiller, puis président au parlement de Metz, ne joua dans la vie de sa femme qu’un rôle insignifiant et commode. La grande liaison de Mme de Ferriol fut avec le maréchal d’Uxelles. Les recueils du temps[2] donnent comme s’appliquant au premier éclat de leurs amours l’ode de J.-B. Rousseau imitée d’Horace :

Quel charme, Beauté dangereuse,
Assoupit ton nouveau Paris ?
Dans quelle oisiveté honteuse
De tes yeux la douceur flatteuse
A-t-elle plongé ses esprits ?

  1. M. de Ferriol eut plusieurs missions et fit plusieurs voyages et séjours à Constantinople. Une première fois, en 1692, il fut envoyé auprès de l’ambassadeur de France, qui le présenta au grand-vizir, et celui-ci l’autorisa à le suivre à l’armée ; M. de Ferriol fit ainsi les campagnes de 1692, 1693 et 1694, dans la guerre des Turcs et des Hongrois mécontens contre l’Empereur. Revenu en France au prince temps de 1695, il reçoit en mars 1696 une nouvelle mission, et cette fois il est accrédité directement auprès du grand-vizir ; il fait la campagne de 1696, celle de 1697, passe l’hiver et le printemps de 1698 à Constantinople, s’embarque pour la France le 22 juin 1698, et arrive à Marseille le 20 août. — C’est dans ce second voyage qu’il acheta et qu’il amena en France la jeune Aïssé. — En 1699, M. de Ferriol, qui n’avait eu jusque-là que des missions temporaires, remplaça à Constantinople, en qualité d’ambassadeur, M. Castagnères de Chateauneuf. Parti de Toulon dans les derniers jours de juillet 1699, il alla résider en Turquie durant plus de dix ans, ne fut remplacé qu’en novembre 1710, par M. Desalleurs, et ne rentra en France que le 23 mai 1711. Ces dates, que nous devons aux bienveillantes communications de M. Mignet, nous seront tout à l’heure précieuses.
  2. Bibliothèque du roi, mss., dans le Recueil dit de Maurepas (XXX, page 279, année 1716).