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— J’en aurais fait mille pour vous revoir, monsieur le chevalier ! répondit impétueusement la Rousse.

À ce mot, le cadet de Colobrières commença à entrevoir la vérité. L’honnête garçon rougit légèrement, et détourna la vue avec la sauvage frayeur du bel Hippolyte en butte aux amoureuses fureurs de sa marâtre.

— Je m’attendais bien à ce que vous me fissiez quelques reproches, continua la Rousse d’un ton plus calme et avec une certaine tristesse. Vous êtes un peu fâché contre moi, parce que je suis venue vous trouver sans votre permission ; mais, voyez-vous, je ne pouvais plus vivre là-bas, sachant de quelle manière vous étiez ici. M. le baron nous a lu tout haut la lettre où vous parlez des rues de Paris et du mauvais temps, et de votre chambre où vous êtes seul avec Lambin. Nous pleurions, parce que nous comprenions qu’il y avait là-dessous bien du chagrin et de l’ennui. Cela ne me sortait plus de la tête, et, le même soir, je dis à Tonin : Il faut que j’aille trouver notre jeune maître ; j’aurai soin de lui et il ne sera plus seul, je lui tiendrai compagnie. Quant au voyage, ça ne m’inquiète guère ; ce n’est pas comme s’il fallait passer la mer : on va par terre d’ici à Paris. Je n’ai pas besoin de carrosse ni de cheval ; mes jambes m’y porteront. Alors j’ai fait mes petits arrangemens : il y a eu sept ans la dernière veille de Noël que je suis au service de Mme la baronne ; j’ai trois écus de gages sur lesquels je ne dépense pas grand’chose. À la fin de l’année, il me restait toujours une dizaine de livres que je prêtais à mon parrain meste Tiste ; le brave homme m’a rendu la moitié de cet argent ; j’ai fait de mes meilleures hardes le paquet que voilà, et je me suis mise en route. Tonin m’avait avertie que Paris est une ville si grande, si grande, qu’autant vaudrait chercher une aiguille à coudre dans une meule de foin que d’aller demander quelqu’un de porte en porte ; mais M. le baron sait bien l’adresse qu’il a mise sur sa lettre : je l’ai prié de me la dire, et j’ai retenu le nom de la rue, le numéro de la maison. En demandant mon chemin, je suis venue ici tout droit. Oh ! monsieur le chevalier, ne soyez plus fâché… Voyez ce pauvre Lambin, comme il est aise de me revoir ! il grogne de joie depuis que je suis entrée… Allez ! j’ai bien fait de venir !… Considérez comme vous êtes mal servi ! votre lit est fait à coups de poing, et il y a de la poussière partout… et puis, je vous trouve un peu paie et amaigri. — Tiens ! moi aussi je suis pâle, ajouta-t-elle en apercevant son visage dans la glace. Jésus ! est-ce que c’est l’ai de Paris qui nous rend comme ça ?

— Eh ! non, mon enfant, répondit en souriant le cadet de