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Au château de Colobrières, ce 1err février 1790.

« MA CHERE FILLE,

« Depuis le départ de votre frère Gaston, qui m’a écrit du port de Lorient, j’ai été privé de vos nouvelles, et, vu les circonstances actuelles, j’éprouve quelque souci relativement à votre situation. C’est avec une extrême douleur que j’ai été informé des troubles qui désolent le royaume. Ne recevant pas les gazettes, je ne suis pas très au courant des évènemens ; mais j’en vois assez pour savoir que l’esprit révolutionnaire a pénétré partout.

« Les manans du village ont depuis long-temps arboré les couleurs dites nationales à la place des fleurs de lis, et il y a eu encore autour de nous d’autres changemens non moins déplorables. Il m’est revenu dernièrement que des gens mal intentionnés voulaient piller et démolir le château ; jusqu’à présent tout est tranquille cependant dans la baronnie.

« Je gémis avec tous les bons gentilshommes de France sur les forfaits du peuple. Ayant appris que nos princes s’étaient réfugiés à l’étranger, ainsi que la meilleure noblesse, je me suis demandé si mon devoir ne serait pas de quitter aussi ce malheureux pays ; mais les conseils de votre mère m’en ont empêché.

« On parle, dit-on, de la vente des biens ecclésiastiques, de la destruction des couvens, et autres abominations semblables ; ces bruits me mettent en souci par rapport aux neuf enfans que j’ai dans l’état religieux. Écrivez-moi pour me donner de vos chères nouvelles. Votre mère et moi nous vous envoyons du fond du cœur notre bénédiction, ainsi qu’à notre fille Anastasie, priant Dieu de vous secourir en ces tribulations, et de nous prendre tous sous sa garde. Ne nous oubliez pas dans vos prières, ma très chère fille, et tenez-vous pour assurée de l’affection et tendre amitié de votre père.

« BARON DE COLOBRIERES. »


La seconde lettre venait de l’oncle Maragnon. Elle était ainsi conçue :


MADAME LA SUPÉRIEURE,

« Le décret qui abolit les congrégations religieuses change tous nos arrangemens. C’est un événement de force majeure qui annule nécessairement la promesse que nous avions faite à Eléonore de la