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Fête-Dieu, Gaston quitta Paris pour aller s’embarquer à Lorient sur un navire en partance pour Chandernagor. Il partit sans revoir Mlle Maragnon, sans faire ses adieux à sa sœur, et toutes deux ignoraient encore sa résolution, qu’il était déjà sur le vaisseau qui devait le transporter à l’autre extrémité du monde.

Pendant la retraite de l’octave, elles avaient partagé les exercices de la communauté sous la direction immédiate de la maîtresse des novices, et elles n’avaient vu la supérieure que dans le chœur. Celle-ci les fit appeler le jour de la Fête-Dieu à l’issue de la messe conventuelle. Après les avoir conduites dans sa cellule, elle dit d’un ton calme, mais les larmes aux yeux et en s’adressant à Anastasie :

— Ma chère fille, Dieu vous éprouve par une sensible affliction ; votre frère Gaston a dû accepter une occasion qui s’est offerte d’améliorer sa fortune ; il est parti pour les Indes, et sans doute son absence durera bien des années. Il faut prier la divine Providence de veiller sur lui pendant ce long voyage, et de permettre que nous le revoyions avant de mourir.

À cette nouvelle, Anastasie joignit les mains en s’écriant : — Gaston !… mon frère !… je ne le verrai plus !… Puis elle éclata en sanglots. Éléonore était devenue pâle, mais ses yeux ne répandirent pas une larme. Elle s’assit près de sa cousine, et dit d’une voix altérée, mais avec une sorte de fermeté :

— Ma chère Anastasie, il faut se soumettre à la volonté de Dieu !…

Mlle de Colobrières se jeta alors dans ses bras en s’écriant : — Ah ! vous me restez, vous !…

— Oui, pendant une année encore, dit la jeune fille avec une amère résignation, ensuite nous subirons toutes deux l’arrêt irrévocable de la Providence ; j’obéirai au vœu de mes parens, je me marierai…

— Et moi, j’entrerai en religion ! ajouta sourdement Mlle de Colobrières.

— Hélas ! Seigneur mon Dieu ! murmura la mère Angélique pénétrée d’une grande affliction, il n’est pas en mon pouvoir de les secourir ; je ne les sauverai pas de ces vocations forcées !


Avant la fin de l’année cependant, il se passa des évènemens qui trompèrent toutes les prévisions et changèrent as destinées, qui semblaient fixées irrévocablement. On était en 1789, et les premiers faits de la révolution étaient déjà accomplis. Quoique l’on ne s’occupât point des affaires publiques au couvent de la Miséricorde, le