Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/282

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avait à lui parler sans témoins de choses secrètes, importantes, et dans lesquelles il s’agissait du bien, de la tranquillité des deux familles. Ensuite il sortit après avoir salué cordialement le cadet de Colobrières, lequel s’en alla presque aussitôt, car déjà la cloche sonnait pour la prière du soir.

Une heure plus tard, lorsque les religieuses et les novices furent rentrées dans leurs cellules, la mère Angélique retourna seule à la grille. Les paroles du vieux négociant lui avaient causé plus d’une distraction pendant l’oraison ; elle était loin d’entrevoir le motif de cette seconde visite, et elle ne pensait pas qu’il pût être question d’Éléonore et du cadet de Colobrières ; car, malgré sa pénétration, elle ne soupçonnait pas le secret qu’avait surpris au premier coup d’œil l’oncle Maragnon. Celui-ci arriva en même temps qu’elle au parloir. Le brave homme s’assit en face de cette figure immobile et voilée qui demeurait silencieuse après l’avoir salué à travers la grille : il chercha dans sa pensée des formules qui rendissent convenablement à l’oreille d’une religieuse les choses profanes dont il venait l’entretenir ; mais il ne trouvait pas les termes du vocabulaire monacal avec lesquels on explique même les cas de conscience les plus délicats, et, prenant son parti, il dit simplement : — Ma révérende mère, je vous demande bien pardon ; mais, au risque de vous scandaliser, c’est d’une amourette que je viens vous entretenir.

— Lorsqu’il s’agit du salut ou de l’intérêt du prochain, les personnes de notre état peuvent et doivent tout entendre, répondit gravement la mère Angélique.

— Alors, dit sans préambule l’oncle Maragnon, sachez, madame, que ma nièce Éléonore aime le chevalier de Colobrières, et que, selon toute apparence, c’est une inclination réciproque.

— Jésus ! quel malheur ! murmura la mère Angélique.

— Certainement c’est un malheur, continua M. Maragnon, mais il n’est pas sans remède. Ce voyage a aggravé le mal cependant…. Qui se serait douté de ce qui se passait dans l’esprit de ma nièce ?… Elle n’est point sotte, cette enfant…. Jamais elle n’avait parlé en ma présence de ce beau cousin, et, en vérité, j’ignorais presque son existence….. C’est une fatalité qu’ils se soient connus, qu’ils se soient aimés, car, vous le concevez, madame, ce mariage est impossible….

— Impossible ! répéta la mère Angélique d’un ton qui n’était pas tout-à-fait convaincu.

— Absolument impossible, reprit vivement l’oncle Maragnon. Quand même nous renoncerions au projet formé depuis si