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cette espèce de décoration : une douzaine de chaises massives alignées devant la grille semblaient attendre les visiteurs, et une lamentable figure de saint Laurent martyr, accrochée en face de la porte, les regardait éternellement du haut de son gril : dans quelque endroit du parloir qu’on se plaçât, on rencontrait toujours son œil fixe, contracté, hagard, qui étincelait sous sa paupière immobile.

L’oncle Maragnon s’assit sur une des chaises de paille de manière à tourner le dos au tableau de saint Laurent ; il aspira une large prise de tabac, et considéra tout ce qui l’environnait avec un certain malaise, Éléonore se tourna de tous côtés, joignit ses petites mains, et s’écria d’un air de contentement profond : — Enfin ! nous voici au couvent de la Miséricorde !….. Quelle tranquillité ! quel silence !….. Comme on doit vivre doucement ici !… C’est un séjour béni !… C’est bien véritablement la maison du bon Dieu !

L’oncle Maragnon la regarda avec étonnement et haussa les épaules ; il trouvait l’atmosphère du parloir humide, le carreau glacé, l’ameublement des plus mesquins, la figure de saint Laurent épouvantable, et l’aspect général du couvent horriblement triste.

— Que je suis impatiente de voir le reste de la maison ! continua Éléonore ; je me figure d’avance la cellule de ma chère Anastasie, et le cloître, et le jardin. Peut-être peut-on apercevoir un petit coin du jardin par cette fenêtre.

Elle y courut avec une vivacité d’enfant, approcha son visage des vitres opaques, et ne vit rien qu’une grande muraille borgne, dont l’œil unique était une lucarne grillée.

En ce moment, un léger bruit annonça qu’on entrait dans l’autre partie du parloir ; presque aussitôt le rideau noir s’ouvrit, et deux figures voilées parurent derrière la grille. Eléonore s’était retournée avec un léger cri ; elle s’approcha tremblante de joie, et murmura, en passant ses mains mignonnes à travers les barreaux :

— Chère cousine !… enfin me voici, me voici près de vous !… Que je suis heureuse !

— Chère Éléonore ! moi aussi, je suis heureuse de vous voir, répondit Mlle de Colobrières à voix basse et en tirant à moitié la main de sa large manche de bure pour toucher du bout des doigts la main de la jeune fille. Celle-ci ne parut ni surprise ni contristée de cet accueil, qui ne répondait pas tout à fait à l’empressement, à la joie qu’elle manifestait, et elle reprit avec un enjouement melé de sensibilité :

— Je viens m’enfermer avec vous pour une année entière ; je viens d’avance faire pénitence des péchés que je pourrai commettre plus