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le monde sans restriction aucune, elle ne marchera pas à pas égaux. Elle n’a pas le cœur dépravé ; elle n’a jamais rien fait de mauvais, mais la parole en elle devance toujours la pensée ; elle se livre à ceux à qui elle parle sans réserve, et de là il s’ensuit (même dans cette petite cour) qu’on lui prête des sens et des intentions qui ne lui ont jamais appartenu. Que ne sera-t-il pas en Angleterre, où elle sera entourée de femmes adroites et intrigantes (à ce qu’on dit) auxquelles elle se livrera à corps perdu (si le prince permet qu’elle mène la vie dissipée de Londres), et qui placeront dans sa bouche tels propos qu’elles voudront, puisqu’elle parlera elle-même sans savoir ce qu’elle dit. De plus, elle a beaucoup de vanité, et, quoique pas sans esprit, avec peu de fond ; la tête lui tournera si on la caresse et la flatte trop, si le prince la gâte. Il est tout aussi essentiel qu’elle le craigne que qu’elle l’aime. Il faut absolument qu’il la tienne serrée, qu’il se fasse respecter, sans quoi elle s’égarera. »

Le même soir, il y a bal masqué à l’opéra. Lord Malmesbury fait la promenade avec la princesse Caroline. En véritable Anglais, il la sermonne ; il l’engage à ne pas manquer le service divin quand elle sera à Londres. — Le prince va-t-il à l’église ? demanda la princesse. — Vous l’y ferez aller. — Mais s’il ne veut pas ? — Alors vous irez sans lui, et à la fin il ira avec vous. — Voilà de bien sérieuses remarques pour un bal masqué, reprend la princesse. Mais l’ambassadeur garde le plus grand sérieux. Il est toujours occupé à ramener à la gravité cette cour légère, et semble vouloir lui donner une plus haute idée de l’honneur que lui fait l’Angleterre. Il traite la princesse en véritable enfant ; perpétuellement il la conjure de réfléchir avant de parler. Quand elle lui dit qu’elle voudrait être aimée du peuple, il lui répond qu’elle n’y réussira qu’en se faisant rare, que l’idée de se faire aimer du peuple est une illusion, que ce sentiment ne peut être partagé que dans un cercle très restreint, que toute une nation ne peut que respecter et honorer une grande princesse, et que c’est en réalité ce sentiment qu’on appelle faussement l’amour d’une nation ; qu’on ne peut se le concilier par la familiarité, mais par un strict respect des convenances, en ne descendant jamais au-dessous de son rang. »

Un autre jour, à souper, la princesse lui demande qui serait la meilleure princesse de Galles, d’elle ou de sa belle-sœur ? Lord Malmesbury lui répond qu’elle a ce que n’a pas sa belle-sœur : la beauté et la grace, et que les autres qualités, la réserve, la discrétion, le tact, elle les peut acquérir. « Je ne les ai donc pas ? dit-elle. — Vous ne sauriez en avoir assez. — Mais comment se fait-il que ma belle-sœur,