Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/25

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

impitoyable avait gratté les lambris dorés et mis en lambeaux les riches tentures ; dans la maison de la rue de la Parcheminerie, il n’y avait au contraire que de vieux meubles neufs, et c’étaient évidemment les mains peu soigneuses de trois ou quatre générations d’étudians qui les avaient diaprés de taches et rayés d’innombrables déchirures. Le lit en bois peint était garni de rideaux trop courts d’une demi-aune, et zébrés dans toute leur longueur d’une multitude de reprises. Un fauteuil boiteux, et à travers l’étoffe trouée duquel ressortaient des poignées de bourre, était placé en face d’une table recouverte d’un cuir jadis noir, mais qui avait pris à la longue une nuance fauve, tigrée de larges taches d’encre ; deux chaises de paille sur lesquelles il fallait s’asseoir avec précaution accompagnaient le fauteuil. Au-dessus de la cheminée, il y avait un miroir d’assez belle grandeur, mais d’un ton si verdâtre, que ceux qui s’y regardaient reculaient d’abord à l’aspect de leur propre figure, laquelle leur apparaissait livide comme celle du Lazare au jour de sa résurrection. Le chambranle était orné, par compensation, d’une pendule de cuivre doré ; mais, comme elle s’était malheureusement dérangée, on avait enlevé le mouvement et il ne restait plus que le cartouche. À la vérité, la maîtresse du logis avait averti Gaston de cet accident, l’assurant qu’il serait réparé dans le plus bref délai possible ; mais, comme depuis quinze ans elle disait la même chose à chaque nouveau commensal, il n’y avait pas d’apparence que le cadet de Colobrières entendit jamais sonner l’heure dans sa chambre. Une commode, dont les tiroirs ne fermaient plus depuis un temps immémorial, et une natte qui servait de lit à Lambin, complétaient le mobilier.

Les papiers peints qui décorent maintenant les plus humbles mansardes étaient encore, à cette époque, une espèce de luxe, et les murs de cet appartement de garçon avaient été primitivement badigeonnés d’une couleur d’ocre jaune de l’effet le plus hardi, mais dont le ton un peu vif avait graduellement tourné au nankin pâle. Les étudians qui s’étaient succédé dans la chambre avaient embelli ce fond uni d’une foule d’arabesques tracées au charbon, de sentences et de devises de leur composition, et de rimes françaises ou latines, fruits de leurs poétiques loisirs. Pendant les journées pluvieuses, le pauvre Gaston, enfermé dans sa chambre, lisait en manière de passe-temps ces fleurs de rhétorique toutes fraîches écloses de l’imagination des écoliers ses prédécesseurs. C’étaient pour la plupart d’amoureuses inspirations, des madrigaux à d’adorables inconnues, ou bien des élégies à une infidèle. À travers toutes ces niaiseries, il y avait parfois