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étrangère à la détermination qui fait abandonner les enfans, il doit en être de même, à plus forte raison, de la difformité. L’hospice reçut, il y a quelques années, un petit être dont toute la figure n’était qu’une lèpre. Au moment où il avait été jeté dans le tour de la maison, la religieuse qui veillait recula d’horreur à sa vue. Nous avons rencontré cet enfant à l’infirmerie. La mère qui a repoussé ce malheureux, sans doute à cause de sa laideur effrayante, rougirait peut-être de sa lâche action, si on lui remontrait à cette heure un frais et beau garçon de quatre à cinq ans, que des soins étrangers ont pour ainsi dire rendu à l’espèce humaine.

La partie la plus attristante de cette maison, si chargée d’infortunes et d’infirmités, est celle où l’on soigne les enfans atteints d’ophthalmies. Ces petits êtres défigurés ne sont pas les seules victimes que nous devions plaindre : leur terrible maladie est contagieuse, et déjà deux ou trois infirmières ont perdu la vue dans ce service. Que diraient les filles débauchées, les femmes égoïstes et insouciantes qui oublie leur enfant dans le tour de l’hospice, en voyant, comme nous l’avons vu, des sœurs de la charité, de simples filles de service, presque sans autre motif que celui du devoir ou du besoin, risquer leur santé, leurs yeux même, pour dérober à une cécité éternelle de petites créatures qui ne leur sont rien, et qui ne leur auront même point de reconnaissance ? Si nous pardonnons aux unes, combien ne devons-nous pas encourager les autres ! On ne saurait trop louer en général le dévouement anonyme des religieuses de Saint-Vincent de Paule, de ces vierges-mères qui prodiguent leurs soins et leur tendresse aux petits enfans sans connaître jamais pour leur compte les joies du mariage ni les douceurs de la maternité. A elles les peines, les travaux, les fruits amers de ces voluptés illicites dont d’autres ont cueilli secrètement la fleur. Et quelle est leur récompense ? Le monde les plaint, la société les ignore ; Dieu seul les connaît pour nous, et bénit leur œuvre.

Nous avons suivi le nouveau-né depuis son entrée dans l’hospice ; il s’agit maintenant de satisfaire au plus essentiel de ses besoins, à l’alimentation. Une nourrice que la maison loge depuis quelques jours est ordinairement là toute prête. Elle va sans doute lui offrir son sein ? Non la prudence défend de le faire avant que l’enfant ait été examiné. Si ce nouveau-né nous touche par son malheur, la femme qui se présente pour le nourrir et pour remplir vis-à-vis de lui les devoirs de mère n’est pas moins digne de notre intérêt. Or, aux yeux de l’administration, tout enfant qui arrive par la voie du tour est suspect. Craignant chez lui la présence de quelque maladie occulte qui se