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l’entreprise ne serait point encore très facile ; mais il s’agit en outre de la conservation de l’enfance, c’est-à-dire de ce qu’il y a de plus faible, de plus touchant et de plus digne d’intérêt sur la terre. Sous une question de chiffres en apparence, c’est le cœur humain tout entier que nous rencontrons ici à chaque pas, le cœur humain avec ses faiblesses et ses attachemens, avec ses misères et ses affections délicates. Le point de vue financier, quoique important et considérable sans doute dans une telle matière, nous paraît devoir être subordonné en théorie au point de vue moral. Il est temps d’appeler au secours de la législation actuelle sur les enfans trouvés, non cette économie publique, sans entrailles, qui ne voit partout que calculs, mais cette économie humaine, sœur de la charité, qui embrasse à la fois tous les intérêts, toutes les souffrances, dans ses recherches et ses solutions prévoyantes.

Un hospice s’élève dans Paris pour les enfans délaissés ; la fondation de cet hospice remonte à des évènemens connus, sur lesquels nous reviendrons en peu de mots. Avant qu’il existât un asile pour les recevoir, le sort des enfans exposés, dans la ville de Paris, était déplorable. Jetés nuitamment à val les rues, ou déposés en certain lit à l’entrée de l’église Notre-Dame, ils n’avaient guère d’autres secours à attendre que ceux de la charité privée. Ces secours précaires, éventuels, ne sauvaient qu’un très petit nombre de victimes. Le cœur des habitans s’endurcissait à des maux qu’ils avaient sans cesse sous les yeux, et les enfans mouraient. Les commissaires du Châtelet retiraient chaque matin des égouts plusieurs cadavres de nouveau-nés. En 1636, une veuve (on rencontre de siècle en siècle les traces d’une femme sur cette voie épineuse de la bienfaisance) recueillit de ses deniers un bon nombre de ces innocens dans sa propre maison. Cette veuve demeurait dans une rue étroite et sombre, près de Saint-Landry. Sa vieille maison à ogives et à colonnettes était connue sous le nom de la Couche. On y apportait les enfans relevés çà et là dans les rues de la ville ; mais la maison était petite et le mal était grand : ceux que l’exiguité du local empêchait d’admettre étaient exposés de nouveau. Un jour, la veuve de Saint-Landry mourut ; avec elle se retira de la grande ville la providence des enfans trouvés. La bonne dame avait laissé des fonds pour continuer son œuvre, mais elle n’avait pas laissé son cœur dans la petite maison de la Couche, qui devint bientôt le théâtre d’un indigne commerce et des plus honteux abus. Le désordre était au comble quand M. Vincent (c’est ainsi qu’on nommait alors un ecclésiastique de Provence) alla visiter l’établissement dont