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objets qu’elle renfermait. Sa lampe à la main, elle visita le prie-Dieu : il était vide ; seulement on avait posé sur la tablette un sablier et le formulaire de prières à l’usage de la communauté. La table était nue comme l’intérieur du prie-Dieu, et l’étroite couchette recouverte d’un drap blanc rappelait le lit funèbre où reposait l’image du saint fondateur de la maison. En poursuivant ses investigations, Mlle de Colobrières éleva sa lampe à la hauteur des images collées contre la muraille, et elle aperçut alors sur les lambris blanchis à la chaux des caractères tracés avec une pointe. Il était malaisé de déchiffrer le sens de ces lettres inégales et à demi effacées ; pourtant Anastasie lut un nom, le nom profane d’Hector, et, un peu plus loin . ces paroles du livre de Job : « Les forces de mon ame sont épuisées ; mes jours sont écoulés, et il ne me reste plus qu’à descendre dans le tombeau. On me voulait faire espérer que la nuit où je suis se changerait en divines clartés, et que je verrais la lumière après les ténèbres ; mais, si j’ai quelque chose à attendre, c’est de descendre bientôt dans le sein de la mort et de me reposer dans les ténèbres éternelles. »

Anastasie mit la lampe sur le prie-Dieu et s’assit au pied du lit, les yeux fixés sur ces lignes qu’une novice, la dernière peut-être qui avait occupé la cellule, avait laissées sur ces froids lambris. Rien ne complétait le sens de cette inscription ; il n’était resté aucune autre trace de celle dont la main écrivit ces lamentables paroles. Elle avait passé là comme une voyageuse qui s’en va pour faire place à une autre, sans laisser seulement son nom dans le logis banal. Mlle de Colobrières songea long-temps à cette inconnue, qui lui avait légué comme un souvenir ces pensées de mort ; puis, accablée de fatigue, engourdie par le froid, elle s’étendit en frissonnant sur son lit et s’endormit d’un lourd sommeil.

Le jour ne paraissait pas encore lorsqu’un faible bruit réveilla Anastasie ; c’était la supérieure qui entrait doucement dans la cellule. D’une main elle tenait sa lampe, de l’autre elle portait la robe et le scapulaire de l’ordre. La blanche clarté de la lampe rayonnait sur son visage, dont la douce gravité était mêlée d’une ombre de tristesse. Elle était si belle ainsi, que la jeune fille, réveillée en sursaut, crut voir une sainte apparition, la figure d’une bienheureuse s’approcher de son lit.

— Ma chère fille, dit la religieuse en lui montrant la robe gris-maur, voici votre nouveau vêtement. Je ne juge pas à propos que vous preniez solennellement le voile. Cette cérémonie est un premier