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interrogée sur toutes ces idées qui sont incontestablement en elle, nous fait toujours la même réponse ; elle nous renvoie à la même explication au fond de tout, au-dessus de tout, Dieu, toujours Dieu.

« Nous voici donc arrivés, de degrés en degrés, à la religion. Nous voici en communion avec les grandes philosophies qui toutes proclament un Dieu, et en même temps avec les religions qui couvrent la terre et qui toutes reposent sur le fondement sacré de la religion naturelle. Par là nous entendons, non pas la religion à laquelle l’homme peut arriver dans cet état hypothétique qu’on appelle l’état de nature, mais la religion que nous révèle la lumière naturelle accordée à tous les hommes sans le secours d’une révélation particulière. Tant que la philosophie n’est pas parvenue à la religion, elle est au-dessous de tous les cultes, même les plus imparfaits, qui du moins donnent à l’homme un père, un témoin, un consolateur, un juge. Par la religion, la philosophie entre en rapport avec l’humanité, qui, d’un bout du monde à l’autre, aspire à Dieu, croit en Dieu, espère en Dieu. La philosophie contient le fonds commun de toutes les croyances religieuses ; elle leur emprunte en quelque sorte leur principe, et elle le leur rend entouré de lumière, élevé au-dessus de toute incertitude, placé à l’abri de toute attaque. La philosophie peut donc à son tour se présenter au genre humain. Elle aussi elle a droit à sa confiance ; car elle lui parle de Dieu au nom de tous ses besoins et de toutes ses facultés, au nom de la raison et au nom du sentiment…

« La théodicée a deux écueils : l’un est l’abstraction, l’abus de la dialectique ; c’est le vice de l’école et de la métaphysique. S’efforce-t-on d’éviter cet écueil, on court le risque d’aller se briser contre l’écueil opposé, je veux dire cet effroi du raisonnement qui s’étend jusqu’à la raison, cette prédominance excessive du sentiment qui, développant en nous les facultés aimantes et affectueuses aux dépens de toutes les autres, nous jette dans un anthropomorphisme sans critique, et nous fait instituer avec Dieu un commerce intime et familier où nous oublions un peu trop l’auguste et redoutable majesté de l’être divin. L’ame tendre et contemplative ne peut ni aimer ni contempler en Dieu la nécessité, l’éternité, l’infinitude, qui ne tombent point sous les prises de l’imagination et du cœur, mais qui se conçoivent seulement. Elle les néglige donc. Elle n’étudie pas non plus Dieu dans les vérités de toute espèce, physiques, métaphysiques et morales, qui le manifestent ; elle considère en lui particulièrement les caractères auxquels s’attache l’affection. Dans l’adoration, Fénelon retranche toute crainte pour ne laisser subsister que l’amour, et, comme je l’ai déjà dit, sainte Thérèse et Mme Guyon finissent par aimer Dieu comme un amant.

« On évite ces excès contraires d’une sentimentalité raffinée et d’une abstraction chimérique, en ayant sans cesse présens à la pensée et la nature de Dieu par laquelle il échappe à tout rapport avec nous, la nécessité, l’éternité, l’infinitude, et en même temps ceux de ses attributs qui sont nos propres attributs transportés en lui par cette raison très simple qu’ils en viennent.

« Je ne puis concevoir Dieu que dans ses manifestations et par les signes