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sont à peine de mise en Europe, sont en Orient complètement fausses. Malheureusement ç’a été le tort du traité de Tanger, qu’il a été fait pour l’Europe, tort immense, parce que, depuis ce traité, nos affaires d’Afrique sont entrées plus ou moins dans le cercle des questions européennes. Il fallait maintenir énergiquement leur isolement. On a fait le contraire, de telle sorte qu’on aura dorénavant deux choses à faire, et qui se nuiront mutuellement, la guerre en Afrique, et la diplomatie en Europe.

Quelles que soient les fautes du ministère dans la question du Maroc, nous ne croyons pas cependant que la discussion puisse être bien vive à ce sujet à la chambre des députés : non pas que nous pensions que le ministère puisse faire grand fonds sur l’apparition de l’ambassadeur marocain, quoiqu’il ait, dit-on, tout ce qu’il faut pour plaire, et que ce soit un véritable Abencerrage ; mais il y a bien long-temps que les Maures de M. de Florian sont passés de mode, ainsi que ses bergers. Les préoccupations de la guerre sont, à notre avis, la première cause de la modération probable de la discussion sur les affaires de l’Algérie ; outre cette cause spéciale, il y a une raison plus générale qui modérera, selon nous, toute la discussion.

Cette cause, ce sont les chemins de fer et la spéculation qui s’y rattache. Pour l’Afrique, ce sera la guerre qui contiendra la tribune ; pour tout le reste, ce sera la Bourse, et le frein ne sera pas moins puissant. Comment, en effet, voulez-vous qu’il y ait une politique vive, sérieuse, animée, patriotique, quand il y a une préoccupation si ardente des intérêts matériels, quand il y a sur la place près d’un million d’actions, qui sont loin d’être consolidées, qui flottent à tous les vents de la spéculation ? Chacun sait que la moindre agitation politique amènerait une crise fâcheuse. De là un sentiment instinctif de prudence qui est au fond de tous les esprits. Nous ne le croyons bon ni pour la moralité, ni pour la liberté du pays ; mais nous le constatons, et nous sommes convaincus que le calme des premières opérations de la session tient à cet état. Nous irons plus loin ; nous sommes persuadés que les efforts de la discussion la plus vive et la plus ardente triompheraient difficilement de ce calme vide et mou où nous sommes pour le moment, et qu’il faut laisser passer. La réaction est infaillible, et même elle est plus prochaine que ne le croit le cabinet, qui s’applaudit de cette atonie. Peut-on hâter cette réaction par des combinaisons de stratégie parlementaire ? Nous ne le croyons pas, et, pour dire ici toute notre pensée, nous souhaitons que l’opposition échappe également au découragement et à l’exagération. Si elle reste hardiment et fermement sur la brèche, si elle dénonce les fautes du ministère selon la mesure même de ces fautes, si elle s’adresse aux bons et généreux instincts du pays, et si elle met ces bons instincts en parallèle avec les penchans du ministère, si elle ne fatigue pas la majorité par des propositions intempestives qui n’auraient d’autre effet que d’unir et de serrer les rangs de cette majorité par l’habitude de la victoire, si enfin elle accepte hardiment le combat partout, sans le chercher témérairement, nous ne doutons pas que l’opposition ne reprenne l’attitude que semblent devoir lui ôter les premiers