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Liban, si l’on veut que dans ce malheureux pays il reste encore quelques chrétiens. Quel spectacle que celui de la Syrie depuis 1840 ! Que de sang répandu, que de villages brûlés et détruits, que de populations anéanties ! Et tout cela à la face de l’Europe chrétienne, et par la faute de l’Europe ! En Europe, les dissentimens de la diplomatie n’aboutissent qu’à des notes plus ou moins amicales échangées entre les cabinets ; dans le Liban, ces rivalités diplomatiques aboutissent aux violences de la guerre. Les Druses et les Maronites se battent et se détruisent parce que le consul anglais et le consul français ne paraissent pas avoir les mêmes sentimens et le même langage. Nous ne voulons pas rappeler ici toutes les déceptions et tous les désappointemens successifs de la politique française en Syrie depuis 1840 ; nous nous contenterons de faire une remarque et de noter les faits les plus récens de la triste histoire de la Syrie.

La remarque que nous voulons faire, c’est que la question de la Syrie est une de celles qui sont entrées dans le cercle des questions parlementaires depuis le discours de la couronne en 1843. À cette époque, le cabinet se félicitait de l’arrangement des affaires de la Syrie. Le débat sur ce paragraphe fut long ; le ministère eut grand’peine à l’emporter, et, depuis ce temps, les chambres ont droit de demander compte au ministère de l’état d’un pays et du sort de populations qui ont toujours regardé la France comme leur protecteur naturel. A la fin de la session dernière, M. de Montalembert, à la chambre des pairs, appela l’attention du gouvernement sur le malheur des populations catholiques du Liban, et M. Guizot promit que la France interviendrait seule, si elle ne trouvait pas, dans les autres puissances européennes, les dispositions qu’elle avait droit d’attendre : c’est à ce moment aussi que M. Guizot disait qu’il y avait en Turquie un parti qui défendait la politique barbare et astucieuse de la vieille Turquie, et que c’était ce parti qui était l’auteur des désordres et des malheurs de la Turquie ; mais ce parti, ajoutait-il, n’a aucun représentant dans le divan à Constantinople. Voilà sur quelles paroles et par quels engagemens finit la session. Qu’est-il arrivé depuis en Syrie ? Un membre du divan de Constantinople, Chekib, ministre des affaires étrangères, un des membres du parti libéral et modéré, qui représente la jeune Turquie, a été envoyé dans le Liban, comme une sorte d’ange pacificateur, escorté par les vœux et les espérances de la diplomatie française. Il devait réprimer les excès, il devait punir le meurtrier du père Charles, supérieur du couvent d’Abbey, près de Beyrouth ; il devait pacifier les Druses et les Maronites. Voici ce qu’a fait Chekib, qui, sans doute, n’est libéral qu’à Constantinople, parce que c’est là que se joue, sous les yeux de la diplomatie européenne, la comédie de la civilisation turque : Chekib a laissé impuni le meurtrier du père Charles, et il a désarmé les montagnards du Liban, qui se sont trouvés livrés sans défense aux brutalités de la soldatesque turque.

Ne nous y trompons pas, en effet. Le désarmement des populations est une bonne mesure de pacification, quand il y a des lois équitables, exécutées