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étaient rencontrés au nord de l’équateur, et qu’on les trouvait chargés de nègres. La position de l’Angleterre était tout-à-fait différente relativement à l’Espagne depuis le traité du 28 juin 1835, et relativement au Brésil par suite de l’interprétation donnée au traité du 23 novembre 1826. Les croiseurs anglais avaient le droit de saisir partout les navires espagnols ou brésiliens hors des mers d’Europe, au sud comme au nord de l’équateur, avec ou sans nègres à bord, pourvu qu’ils fussent équipés pour la traite. — Pendant plusieurs années, on a vu avec étonnement presque tous les navires portugais qui faisaient la traite arrêtés par les croiseurs anglais, même au sud de l’équateur, sans avoir de nègres à bord, parce que la jurisprudence anglaise, en matière de nationalité, permettait de considérer les navires portugais tantôt comme espagnols et tantôt comme brésiliens, et de les faire condamner en cette qualité par les tribunaux mixtes anglo-espagnols ou anglo-brésiliens.

Je n’en finirais pas si je voulais présenter ici le tableau de tous ces faits. Un seul exemple suffira pour montrer que la vérification de la nationalité en temps de paix n’est pas moins périlleuse qu’en temps de guerre.

Le navire portugais Sirse, sous pavillon portugais, est rencontré en pleine mer, à dix-sept lieues au sud de Sierra-Leone, par le brick anglais Buzzard, commandé par le lieutenant Fitz-Gérald. Le navire est abordé, ses papiers sont examinés ; on les trouve parfaitement en règle. Le propriétaire est Portugais : il réside aux îles du cap Vert, à Sant-Iago de Praïa, c’est-à-dire dans une des possessions portugaises ; il n’a aucun établissement ni dans les colonies espagnoles ni au Brésil. Mais le lieutenant Fitz-Gérald découvre, en examinant les papiers de bord, que ce propriétaire a habité, plusieurs années auparavant, la ville de la Havane. Cela suffit pour que le croiseur anglais se croie en droit d’arrêter ce navire comme équipé pour la traite et comme espagnol, ce qu’il n’aurait pas pu faire s’il l’eût regardé comme portugais, attendu qu’il n’y avait pas de nègres à bord. Le tribunal mixte anglo-espagnol de Sierra-Leone, devant qui ce navire fut conduit, déclara, le 22 décembre 1838, la prise valable, et prononça la confiscation du navire et de sa cargaison. A la vérité, l’arrêt n’est pas fondé sur ce que le propriétaire du Sirse résidait à la Havane, mais sur ce que le Sirse faisait un voyage qui avait pour point de départ et pour terme un port espagnol, la Havane. Les considérons de cet arrêt sont appuyés sur les jugemens rendus par la haute cour d’amirauté britannique en pareil cas et en temps de guerre.