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larmes de joie, et elle murmura avec un indicible attendrissement : — Mon cher Gaston ! c’est lui !

Peut-être Mlle de Colobrières ne fut-elle pas la seule qui s’aperçut de la présence de ce beau jeune homme. Il s’était modestement avancé parmi les femmes dévotes qui disaient leurs patenôtres devant le grand autel, et, après avoir prié debout un instant, il s’était assis le chapeau à la main, la tête un peu fléchie sur sa poitrine, dans l’attitude d’une triste méditation. C’était vraiment un charmant cavalier que Gaston de Colobrières, et il avait fort bonne mine, malgré le goût un peu arriéré de son costume. Il portait l’habit neuf que sa mère lui avait fait faire à l’époque mémorable où le baron toucha les cinq cents écus de la vente de Belveser. Le tailleur du village appelé à confectionner ce vêtement y avait consciencieusement employé toute l’étoffe achetée par la baronne ; les basques flottaient jusqu’à mi-jambe, et les revers pouvaient, au besoin, se croiser d’une épaule à l’autre. Mais la taille souple et cambrée du jeune gentilhomme donnait une façon à cette espèce de sac ; quoiqu’il ne portât point de poudre comme les gens du bel air, et que ses cheveux noirs et brillans fussent rattachés sur la nuque par un simple ruban, il n’en avait pas moins une physionomie noble et une fort belle tournure.

Après l’office, et tandis que les religieuses sortaient du chœur, Anastasie se rapprocha de la mère Angélique, et lui dit à voix basse en tournant les yeux vers la nef : — Ce jeune homme, c’est notre frère, c’est Gaston…. — Oh ! mon enfant, comme il ressemble à notre mère ! je l’ai bien reconnu ! répondit la supérieure avec attendrissement.

Un quart d’heure plus tard, Gaston se présenta à la grille du parloir. — Mon frère ! mon cher frère, enfin nous voilà réunis ! s’écria Anastasie, comme si elle le retrouvait après une longue absence. La mère Angélique lui tendit silencieusement la main à travers les barreaux, et se prit à le considérer en soupirant ; la pensée que ce fier jeune homme songeait à se faire moine l’étonnait et la contristait ; elle comprenait vaguement que sa vocation devait avoir d’autres motifs qu’une piété exaltée, et que les passions humaines y avaient plus de part que l’amour divin. Gaston, de son côté, la regardait avec une inexprimable tristesse ; il se souvenait de cette sœur aînée ; il était encore un enfant lorsqu’elle était dans la première fleur de sa jeunesse. Pourtant il se rappelait la fraîche beauté, les grâces riantes de ce visage qu’il revoyait maintenant si pâle et si grave sous son voile noir. Une larme roula sous sa paupière ; il pressa de ses lèvres la main froide