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lord John Russell, en dehors de lord Palmerston, ne voit pas de ministère possible. Si la difficulté qui vient de se présenter a suffi pour arrêter les whigs dans cette circonstance, elle les arrêtera dans un an, dans plusieurs années, pour bien long-temps sans doute. La retraite de lord John Russell est donc la plus grande faute qu’il ait pu commettre ; ce n’est pas la démission du ministère qu’il a donnée, c’est la démission du parti.

Les whigs se mettant désormais hors de cause, et les vieux tories n’essayant pas même de concourir, sir Robert Peel restait maître de la situation. Les circonstances allaient l’investir de cette dictature qu’il avait souhaitée, et en vue de laquelle il avait, pour quelques jours, brisé ou suspendu l’existence du ministère. Une sorte de baptême nouveau le dégageait plus complètement des liens de parti. Après s’être fait de tory conservateur, il pouvait de conservateur devenir un instrument d’innovations, un ministre populaire. Sur l’appel que vient de lui adresser la reine, sir Robert Peel a retiré sa démission. Il rentre, triomphant de ses adversaires politiques et de ses collègues. La mort l’a délivré d’un dissident, lord Wharncliffe ; il le remplace, dans la présidence du conseil privé, par le duc de Buccleugh, qui remet lui-même la présidence du bureau de contrôle, c’est-à-dire le gouvernement de l’Inde, à lord Ellenborough. Lord Stanley quittant l’administration des colonies, ce poste est confié à M. Gladstone, une des espérances et des lumières du parti. Le duc de Wellington reprend son siège dans le cabinet, comme si aucun dissentiment grave n’avait existé entre lui et le premier ministre ; le ministère continue à diriger les affaires, comme s’il n’y avait jamais eu de déchirement dans son sein, en sorte que l’on se demande s’il était bien nécessaire de faire ce grand éclat, et de laisser l’Angleterre pendant quinze jours sans gouvernement.

Nous ne sommes pas de ceux qui pensent que sir Robert Peel a joué la comédie, et que l’intérêt de sa situation personnelle a été l’unique mobile de sa conduite ; mais nous croyons aussi qu’il n’avait qu’à vouloir pour épargner au gouvernement et au pays la crise que l’on ne sait encore comment caractériser. Avec l’autorité qu’il exerce sur le cabinet, des explications nettes et sincères auraient peut-être calmé les scrupules et désarmé les ombrages. Malheureusement le premier ministre ne condescend jamais à s’expliquer. Il ne cherche pas à inspirer la confiance, il la commande. Mystérieux dans ses plans et réservé dans ses formes jusqu’à la hauteur, il tient tout le monde à