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sœur selon le monde, comme ma fille spirituelle, je la recommande à votre affection et à vos prières.

Aussitôt toutes les religieuses environnèrent Anastasie. Il y avait quelque chose de singulièrement ingénu dans les témoignages de leur amitié, et les formules de compliment qu’elles employaient ne ressemblaient guère à celles en usage dans le monde.

— Mon doux Jésus, que je suis aise ! dit l’une des jeunes religieuses ; c’est près de moi que sera votre place au réfectoire, ma chère sœur. Aimez-vous le fruit ?

— Oui, ma sœur, répondit Anastasie étonnée de la question.

— Cela se trouve à merveille ! reprit vivement la religieuse ; avec la permission de notre mère, je me retranche chaque jour le dessert afin de me corriger, par cette petite mortification, du péché de gourmandise auquel je suis sujette ; c’est vous, ma chère sœur, qui mangerez mes pommes.

— Le jour où vous prendrez le voile, quelle jubilation pour nous, mon enfant ! dit une vieille professe en touchant de ses longs doigts jaunes la robe d’indienne de Mlle de Colobrières ; mais, tant que vous porterez la livrée du siècle, je n’oserai me réjouir encore : vous ne serez pas tout-à-fait à nous.

— Que le temps de votre probation va nous paraître long ! ajouta une autre religieuse. Il y a deux portes au noviciat, comme disait toujours la mère Perpétue, notre ancienne prieure : l’une est la grande porte du salut qui donne dans le couvent ; l’autre, la porte que le tentateur tient entr’ouverte, et par laquelle il nous invite à retourner au monde. Ma chère sœur, je réciterai tous les jours le psaume Deus noster refugium, afin que Dieu vous fasse la grâce de persévérer dans votre vocation.

— Venez, venez, ma chère sœur ; nous allons vous montrer à faire des agnus, s’écrièrent les novices en entraînant Anastasie vers la table où elles avaient étalé les images qu’elles s’amusaient à découper et à encadrer dans des broderies d’or et de soie.

Les groupes qu’avait dérangés l’arrivée de Mlle de Colobrières se formèrent de nouveau, et les nonnes recommencèrent a babiller avec cet entrain particulier aux personnes obligées chaque jour à plusieurs heures de silence. C’étaient des entretiens innocens et puérils, de petits rires discrets qui s’entre-croisaient d’un bout de la salle à l’autre. Anastasie observait avec un certain intérêt ce tableau qu’un peintre eût pris plaisir à esquisser, car il y avait là des types frappans et tels