Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/1151

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ces lettres qui le trahissaient et le condamnaient plus que toutes les vagues dépositions des témoins ? pourquoi, au contraire, le résident voulait-il à tout prix les arracher à celui qui en était le détenteur ? Croyait-il réellement à la culpabilité du raja, et espérait-il mettre enfin la main sur ces preuves qui le fuyaient sans cesse ? Je ne sais, mais il est notoire que les lettres étaient supposées, et que cette machination fut conduite par un espion et par un agent secret du résident lui-même. Ces papiers ne furent jamais communiqués au raja ; le résident ne voulut pas s’en servir, il est vrai, mais il n’avertit point son gouvernement qu’une troupe de sujets de Pertaub-Sing, résolus à le perdre, conspiraient de leur mieux, et exploitaient, par toute sorte de moyens, le mauvais vouloir des autorités britanniques. Il arrêta la poursuite de ces traîtres, de ces faussaires, et devint leur complice par son silence. Dans une cause simple, naturellement et légalement jugée, se rencontrerait-il de pareils incidens ?

On voit quelle double inimitié menaçait incessamment Pertaub-Sing. Le résident eût-il été de bonne foi dans sa conviction que le raja conspirait, de semblables découvertes devaient suffire à éveiller des doutes dans son esprit ; mais cette persuasion, on peut croire qu’il ne l’avait pas, qu’il ne l’a jamais eue comme preuve, nous citerons une particularité caractéristique de ce procès. Un personnage de haut rang, nommé Govind-Rao, jouissait de la confiance du raja ; il fut immédiatement compris dans l’accusation portée en 1836 par les officiers natifs du 23e régiment d’infanterie. Lui aussi, disaient-ils, il avait cherché à tourner les cipayes contre les Anglais. On l’arrêta à l’instant, on l’enferma dans un cachot, ou plutôt dans une tombe, in a living tomb ; là, on le tint au secret le plus absolu, puis on le transféra à Poonah, et, en dernier lieu, à Ahmed-Nugger, sous bonne escorte. Défense était faite de le laisser communiquer avec qui que ce fût ; des ordres étaient donnés pour qu’on interceptât sa correspondance, qui devait être remise au gouvernement. Pendant que Govind-Rao subissait ainsi les rigueurs du carcere duro, le parti qui complotait la ruine du raja fit parvenir au gouvernement anglais une pétition qu’on disait écrite par la mère de Govind-Rao, dans laquelle, tout en déclarant son fils coupable des crimes qui lui étaient imputés, elle demandait sa grace. Cette pétition fut reconnue fausse d’un bout à l’autre, et, en lisant les lettres du lieutenant-colonel Ovans, qui prétend voir dans ce document apocryphe « la confession véritable de Govind-Rao, » on se demande si cet agent, aveuglé par ses préventions ou troublé par la complication des intrigues dont il s’était fait le centre, a bien pu être dupe de pareilles manœuvres Toujours est-il qu’il ajouta foi à la pétition. Cependant il fallait que Govind-Rao lui-même consentît à se reconnaître complice des conspirations supposées. La prison pouvait avoir agi sur lui, il était temps d’essayer de nouveaux moyens. Voilà que tout à coup les portes du cachot, si rigoureusement fermées, s’ouvrent pour en livrer l’entrée à un émissaire secret, oncle du captif à la vérité, mais partisan d’Appa-Sahib, frère du raja, à qui l’on avait promis le trône dès qu’il serait vacant. Pendant plus de quinze jours, cet agent fut