Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/115

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’il avait construits pour défendre son empire pourrissent dans le canal étroit du Bosphore, ne donnant d’autre signe de vie qu’un coup de canon tiré de temps en temps pour annoncer à la ville de Constantin qu’une esclave du sérail est accouchée d’un esclave, ou qu’un petit prince de l’Occident vient voir à Beglierbey comment est fait un successeur invisible et emmaillotté de Mahomet II. Beyrouth et Saint-Jean-d’Acre n’osent pas relever, devant un commodore anglais, leurs murailles écroulées sous le canon de 1840 ! La belle armée d’Ibrahim-Pacha a disparu, comme une poussière du désert, abattue et chassée par le vent d’Europe. Méhémet-Ali se tait et se cache dans Alexandrie. L’empire arabe qu’il méditait tiendra tout entier dans sa tombe. Les Maronites, ces Suisses du Liban, prêts pour l’indépendance, déjà armés, souvent vainqueurs et dominateurs de Damas, qui n’attendaient, pour fonder la colonie indigène de l’Europe dans l’Asie-Mineure, qu’un signe et un encouragement de la France, sont abandonnés par nous, trahis, livrés, massacrés. Ces nobles chefs qui descendaient au-devant de nous, du haut de leurs montagnes, à la tête de leurs tribus, ont vu incendier leurs demeures hospitalières, violer leurs filles, égorger leurs enfans par les Druses et par les Albanais L’émir Béchir, ce patriarche armé du nouvel Orient, qui régnait en paix sur deux races et qui les faisait multiplier et grandir ensemble, a été emmené captif à Malte sur un vaisseau anglais, puis transporté avec sa famille à Constantinople, puis exilé, à l’âge de quatre-vingt-six ans, avec sa femme et ses fils, dans un village obscur de la Turquie d’Asie. Il y a vu, dit-on, l’aîné de ses fils, l’émir Emyn, ce jeune prince guerrier et politique qui portait déjà le sabre de son père, massacré sous ses yeux par son escorte. Il a semé ses larmes et son sang sur toutes les routes. Ce beau palais arabe de Daïr-el-Kamar, aux flancs du Liban, que nous avons vu il y a peu d’années tout retentissant et tout resplendissant de sa puissance, n’offre plus que quelques pans de murs noircis par la flamme, et quelques Turcs assis sur ses ruines et fumant le narghilé dans ses vastes cours. Antoura, cette colonie française aux pieds du Liban, a été ravagé deux fois. Volney, le premier voyageur en Syrie, ne reconnaîtrait plus ce beau village où il apprit l’arabe, et où nous avons retrouvé son nom, gravé avec la pointe de son poignard sur le tronc d’un oranger grand comme un cèdre. Les cèdres d’Éden et de Salomon ont été coupés ou incendiés, pour que leur groupe séculaire ne servît plus de couronne au mont Liba n et de point de ralliement et de pèlerinage aux chrétiens. Lady