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qui lui étaient dues, d’après l’interprétation naturelle des traités. Trois résidens qui avaient successivement passé à Sattara, et la cour des directeurs elle-même, appuyèrent les justes prétentions du raja. Après une résistance opiniâtre, le gouverneur de Bombay, qui semblait vouloir ne plus tenir ses propres engagemens, fut contraint d’obéir aux injonctions venues de Londres. Inde irae. En 1835, six petits fiefs ou Jagheers de ses états se trouvant sans maîtres, Pertaub-Sing en demanda l’investiture ; le gouvernement de Bombay promit d’en écrire à Londres. Une année s’écoula sans qu’on répondît aux questions réitérées du prince indien autrement que par des promesses mensongères : on n’avait point adressé à Londres ses réclamations. Dans son impatience, il eut la pensée téméraire d’envoyer lui-même un émissaire à la cour des directeurs. Le gouvernement local s’émut de tant d’audace : si les princes de l’Inde se permettent d’accréditer ainsi des agens près de la cour suprême et d’exposer leurs griefs en pleine Europe ; si les affaires de la compagnie se débattent au grand jour, et que les secrets de cette administration mystérieuse se divulguent bruyamment, il pourrait se faire que mainte fois la politique de l’empire d’Orient fût désavouée par l’empire d’Occident. On n’a pas toujours, à Londres, la conscience aussi large qu’à Bombay, à Madras et à Calcutta. On a, en Europe, un rôle de modération, de justice, de civilisation et même de piété à soutenir ; les raisons d’état parlent moins haut, quand on a des témoins de toutes ses actions. Le raja avait fait une imprudence : cet homme tant prôné pour sa belle conduite, pour sa fidélité à garder sa parole, devint tout à coup un conspirateur, un brouillon qui appelait aux armes le Portugal et la Russie !

Cette première faute était grave ; Pertaub-Sing en commit une seconde : ce fut de se mettre en hostilité avec les brahmanes à propos de certaines cérémonies ; peut-être aussi s’attira-t-il leur haine, parce qu’il donnait aux jeunes gens de ses états une éducation un peu trop européenne. Les brahmanes sont plus que la caste sacerdotale, ils sont l’aristocratie véritable des pays de l’Inde. Le raja les avait blessés ; ils résolurent de se venger. De ces deux haines soufflant de deux points opposés se forma l’orage qui renversa le prince de Sattara. Dans la première des deux attaques dirigées contre lui, un brahmane s’était porté accusateur. Bientôt un système complet d’espionnage ou plutôt d’inquisition politique fut établi à Sattara ; des ennemis publics du raja figuraient parmi ceux à qui on promettait des récompenses et des indemnités, s’ils pouvaient fournir des preuves quelconques de ses prétendus desseins. Les témoins affirmaient avoir été appelés par le raja, qui cherchait à les entraîner dans une conspiration en les dégageant de leur serment de fidélité envers les autorités britanniques. Où s’était passée la conférence ? Au rez-de-chaussée, disait l’un ; dans la salle d’en haut, affirmait l’autre ; celui-ci déclarait que Pertaub-Sing était nu jusqu’à la ceinture ; celui-là, qu’il portait un vêtement de cour sur ses épaules. Tout l’ensemble de l’interrogatoire présentait de pareils désaccords ; c’était une comédie mal jouée par des traîtres qui ne savaient pas leurs rôles, et cette triste comédie, on affectait de la