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avec raison M. le ministre des affaires étrangères, mais le désespérer ne serait pas un tort moins grave, et quel cœur n’aimerait mieux se sentir coupable de la première faute que de la dernière ?

L’importance des questions extérieures a rendu le pays moins attentif aux débats des chambres législatives. C’est au milieu de l’inoccupation presque générale que 80 millions ont été consacrés à notre système de navigation intérieure, dépense fructueuse dont l’utilité a été mise en évidence par un long débat contradictoire. La discussion ouverte sur la proposition de M. de Saint-Priest a saisi davantage l’attention publique. Si une question est arrivée à son terme, c’est certainement celle de l’abaissement de l’intérêt de la dette publique ; s’il y eut jamais une situation déplorable, c’est celle qui est faite depuis dix ans à la rente 5 pour 100, et par suite aux autres fonds publics, dont l’essor naturel est contenu par la présence d’un fonds menacé chaque année de réduction ; s’il y eut jamais une époque opportune pour effectuer une opération semblable, c’est celle dont on célèbre chaque jour la prospérité croissante ; s’il y eut jamais succès facile et assuré, c’est celui d’une conversion en 4 1/2, qui maintiendrait à plus de 111 fr. aux mains des rentiers une valeur nominale de 100 fr., et dont l’effet serait d’élever rapidement au taux actuel des rentes 5 pour 100 les nouvelles rentes créées pour opérer la conversion. La chambre n’ignorait rien de tout cela ; elle a compris de plus que son honneur était engagé dans l’une des rares questions sur lesquelles elle n’a pas transigé depuis douze ans, et, au moment de comparaître devant le pays, elle n’a pas voulu se donner un démenti à elle-même ; elle a pris en considération la proposition de M. de Saint-Priest, malgré les efforts de M. le ministre des finances. C’est un acte honorable dont on doit lui savoir gré.

La seule question qui occupe aujourd’hui le parlement est la proposition de M. de Rémusat sur les incompatibilités. À lundi le débat, pour lequel bon nombre de députés inclineraient volontiers à demander le huis-clos ; à lundi cette longue revue des faiblesses de tous les pouvoirs assiégés par toutes les ambitions et toutes les cupidités. Une foule de révélations sur les fonctionnaires en titre et les fonctionnaires in petto peuvent donner à ce débat une physionomie fort originale, mais aussi fort regrettable. En ce moment, les paris sont ouverts pour savoir si M. Liadières parlera cette année : c’est le grand événement de la salle des conférences. Au quai d’Orsay, on s’occupe aussi beaucoup de l’avenir administratif de l’auteur de Frédéric et Conradin.

Le sort de la grande mesure qui agite l’Angleterre depuis six semaines est enfin fixé. Une majorité de 97 voix contre l’ajournement proposé par M. Miles constate que le bill traversera toutes les épreuves, et le vote confirmatif de la pairie paraît beaucoup moins douteux qu’il y a quinze jours. On dit que le duc de Wellington a déployé, pour vaincre la résistance de l’aristocratie, une activité et une énergie qui n’étonneront personne. Le vieux duc a porté au parti protectioniste des coups plus sensibles que sir Robert Peel