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malfaiteurs les insurgés et tous les hommes suspects de favoriser l’insurrection, « décernant même, dit la Gazette d’état de Prusse, des primes considérables pour chaque suspect (c’est-à-dire pour chaque noble) qui serait livré mort ou vif aux agens autrichiens. » Cet appel fait à la cupidité de pauvres paysans qui meurent de faim, et que la propagande impériale avait d’ailleurs depuis long-temps, travaillés dans un sens de haine et de vengeance contre leurs seigneurs, cet infernal appel semble avoir eu, il faut bien l’avouer, un horrible succès. A la provocation des hommes de l’Autriche, les paysans se sont rués partout sur leurs nobles, n’épargnant ni l’âge ni le sexe. Faut-il s’étonner maintenant de l’échec qu’a rencontré l’insurrection ? Cependant, quelque malheureuse qu’ait été cette première tentative, il suffira, pour apprécier la portée de l’insurrection, pour en admirer le généreux élan, de constater ce qu’elle a fait, ce qu’elle peut faire encore.

Toutes les parties de l’ancienne Pologne, y compris ses annexes d’Orient, ruthéniennes et kosaques, avaient été initiées au plan d’émancipation qui se propageait silencieusement, depuis des années, de la Baltique à la mer Noire. C’était, comme le reconnaissent les feuilles allemandes elles-mêmes, la grande conjuration du panslavisme. Toutes les nations slaves étaient invitées à prendre part au mouvement et à briser enfin leur joug, pour se constituer ensuite chacune suivant son gré. Le gouvernement représentatif qui devait sortir de la révolution polonaise était appelé à s’organiser d’une manière essentiellement fédérale. Provisoirement, il ne devait se composer que de sept membres, délégués des sept associations ou contrées sur lesquelles on comptait le plus, et qui étaient la république de Cracovie, le grand-duché de Posen, la Gallicie, la Lithuanie, la petite Russie, le royaume de Pologne et l’émigration de Paris. La Bohème, la Hongrie, les pays slaves du Danube et le nord de la Russie devaient être entraînés plus tard dans le mouvement ; à son origine, il devait se renfermer strictement dans l’intérieur de l’Autriche, qui est, de tous les empires oppresseurs de la race slave, celui dont l’existence est la plus précaire, puisque cette puissance allemande, sur trente-sept millions de sujets, compte à peine six millions d’Allemands.

A l’époque fixée pour la révolution, il y eut des mouvemens simultanés sur presque tous les points où se parlent la langue polonaise et la langue ruthénienne. Les mouvemens de Silésie, de Posen, de Tarnow, de Léopol, ont été constatés par les journaux ; mais ce que la presse n’a pas assez remarqué et ce que les cabinets ont caché avec