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son esprit ; il y imprime son cachet, et c’est même à ce prix seul qu’elle est possible. Reportez en idée la méthode de M. Mignet à un événement déjà ancien et reculé dans les siècles, rien ne paraîtra plus simple, plus légitimement lumineux ; il n’y aura lieu à aucune réclamation. La hardiesse ici et l’extrême nouveauté étaient, encore une fois, dans l’application qu’il faisait à une catastrophe d’hier, c’était d’oser introduire un système de lois fixes au sein de souvenirs épars et tout palpitans. Ces chaînes de l’histoire, en tombant sur des plaies vives, les firent crier. On eût accordé au seul prêtre parlant du haut de la chaire au nom de la Providence ce droit qu’un historien, procédant dans la froideur et la rectitude philosophique, parut usurper.

Mais cette usurpation ne parut telle qu’aux intéressés et aux blessés encore saignans du combat. Quant à ces neveux si vite consolés dont parle De Maistre, et que l’inexorable écrivain n’a pas craint de montrer dansant sur les tombes, quant à ceux dont Béranger avec plus de sensibilité disait :

Chers enfans, dansez, dansez,
Votre âge
Échappe à l’orage !…


tous ceux-là acceptèrent de confiance l’histoire de la révolution, telle que la leur rendait la plume ou le burin de M. Mignet. Les résultats essentiels qui se tirent de ce mâle et simple récit sont passés dans le fonds de leurs opinions et presque de leurs dogmes : cela fait partie de cet héritage commun sur lequel on vit et qu’on ne discute plus, et je doute fort qu’à mesure qu’on ira plus avant dans les voies modernes et que par conséquent on trouvera plus simple et plus nécessaire ce qui s’est accompli, on en vienne jamais à remettre en cause les articles, même rigides, de ce jugement historique et à les casser. Je vois d’ici venir plus d’un historien futur : on commencera avec le projet de contredire ; puis, chemin faisant, on se trouvera converti, entraîné par le cours des choses, et l’on conclura peu différemment.

A ne voir le livre qu’en lui-même et indépendamment de toute discussion extérieure, en le lisant tout d’un trait (et je viens de le relire), on est pris et attaché par cette forme sévère de talent, par ce développement continu, pressé, d’un récit grave et généreux, où ressortent par endroits de hautes figures. On marche, on suit, on est porté. A chaque nœud du récit, quelques principes fortement posés reviennent frapper les temps et comme sonner les heures. Au passage des grandes