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plus remarquable encore, c’est que, des cinq années de la première période, c’est précisément la plus calamiteuse de toutes, l’année 1831, que la balance du commerce nous montre comme la plus favorable, puisque l’excédant des exportations sur les importations est, pour cette seule année, de 103 millions, comme si les faits prenaient plaisir à se jouer des partisans de cette doctrine.

Si la théorie de la balance du commerce n’était depuis long-temps condamnée par le raisonnement, ces seuls rapprochemens suffiraient pour la confondre. A cet égard, on peut dire que, si les relevés statistiques ne nous apprennent rien, ils confirment du moins ce que la science enseigne. Après cela, ne faut-il pas s’étonner qu’il se trouve encore aujourd’hui tant d’hommes qui osent présenter cette vaine chimère de la balance du commerce comme une règle à suivre, ou qui, sans la proclamer tout haut, en acceptent aveuglément les conséquences.

Rien de plus simple, au reste, que le phénomène, en apparence étrange, que nous venons de signaler, et l’explication s’en trouve donnée par avance dans ce que nous avons écrit ici même sur le crédit et les banques[1] et sur les monnaies françaises[2]. Quand le commerce et l’industrie sont en souffrance, quand le crédit est mort, la puissance d’acheter est fort restreinte, et le besoin de vendre se fait, au contraire, très vivement sentir. En outre, les titres, de crédit n’ayant plus cours, l’emploi du numéraire s’étend, parce qu’il intervient seul dans toutes les transactions. Chacun s’efforce donc de se défaire de ses marchandises comme il le peut, quelquefois même avec perte, et il en cherche à tout prix l’écoulement au dehors, avec d’autant plus de raison qu’il trouve difficilement à les placer au dedans. C’est ainsi que l’exportation s’anime. En même temps, la gêne qu’on éprouve fait qu’on achète peu à l’étranger, et que les expéditeurs s’efforcent à l’envi l’un de l’autre de réaliser leurs capitaux, en effectuant les retours en numéraire. Il suit de là que l’accroissement proportionnel des exportations, loin d’être un signe favorable au pays, est, au contraire, un témoignage de sa détresse, et que c’est dans l’accroissement des importations qu’on trouve la véritable mesure de sa prospérité.

Après tout cependant, les importations et les exportations d’un pays tendent constamment, malgré quelques oscillations accidentelles, à se remettre en équilibre. Il est impossible, en effet, que les relations

  1. Du Crédit et des Banques, -Revue des Deux Mondes, livraison du 1er septembre 1842.
  2. Des Monnaies en France, — ibid., livraison du 15 octobre 1844.