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dans le collége de Clermont, et plus tard dans le couvent des Cordeliers. En 1622, ils sont transférés rue de La Harpe, et Richelieu, qui les protége, en augmente rapidement le chiffre, qui s’élève à 6,088 pour les manuscrits, 10,618 pour les imprimés. Colbert et Louvois ne sont pas moins empressés que le cardinal-ministre. En 1682, Mabillon reçoit la mission de parcourir l’Italie, et jamais mission scientifique ne valut plus d’honneur au ministre qui en conçut l’idée, au savant qui la remplit. En même temps que les seigneurs italiens envoyaient au pieux bénédictin des bouquets par leurs pages, les érudits des monastères, les gardiens des bibliothèques, lui adressaient des volumes, des copies, des indications, et, par le seul ascendant de la science et de la vertu, un pauvre moine au déclin de l’âge rapporta de ses voyages pacifiques plus de trésors que des armées victorieuses.

Vers la même époque, l’orientaliste Petit de la Croix fut chargé d’acheter en Afrique douze cents peaux de maroquin pour relier les livres de la Bibliothèque du roi, et Louis XIV, qui avait pour habitude de faire payer leurs défaites à ses ennemis, Louis XIV, dans ses guerres avec les puissances barbaresques, imposa aux vaincus, parmi les conditions de la paix, la fourniture d’un certain nombre de ces mêmes peaux, qui se voient encore aujourd’hui sur les volumes de la rue de Richelieu. — Dans les premières années du XVIIIe siècle, le dépôt s’accrut si rapidement par les dons des missionnaires, les envois de la compagnie des Indes, l’adjonction des cabinets de Gaignières et de d’Hozier, qu’il fallut chercher un nouveau local. On le transféra, en 1724, dans les bâtimens actuels. En 1737, il fut enfin rendu public, et, sous le règne de Louis XVI, on y comptait 152,868 volumes imprimés.

Malgré les nombreux abus qu’elle tolérait, qu’elle encourageait même, l’ancienne monarchie avait du bon quelquefois, surtout en ce qui touche les lettres, et l’on ne saurait donner trop d’éloges à nos rois pour l’attention sévère qu’ils apportaient dans le choix des hommes chargés de veiller à la conservation des bibliothèques. On ne regardait pas alors l’ordonnance qui conférait les fonctions comme une sorte de sacrement qui conférait en même temps la science, et les bibliothécaires du passé nous ont légué de beaux exemples, que par malheur on ne suit guère. Ainsi, chaque fois qu’on imprimait un ouvrage nouveau de quelque importance, les frères Dupuis envoyaient à l’imprimeur du grand papier, fabriqué à leurs frais, afin d’avoir un exemplaire de choix dont ils faisaient hommage au dépôt confié à leur garde. M. Clément n’était pas moins dévoué, et, s’il eut le malheur de pécher par excès de confiance, de laisser voler, en 1706, une dizaine de manuscrits précieux et quatorze feuillets de la Bible de Charles-le-Chauve, ses regrets furent si profonds, qu’au lieu de l’accuser on le plaignit, car le chagrin, dit un de ses biographes, altéra sa santé, et il traîna toujours depuis une vie languissante. Instruits par l’exemple de M. Clément, M. de Boze et l’abbé Barthélemy exagérèrent les précautions. « Je n’ai jamais, disait ce dernier, montré le cabinet qu’avec une sorte de frayeur. » Cette frayeur était même