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missionnaires pour cette œuvre utile, qui aurait aussi ses joies sérieuses. Il faudrait toute l’autorité de la vertu, mais d’une vertu douce et intelligente, pour traiter avec les faiblesses du cœur humain. C’est ici surtout que les caractères varient avec la nature de la faute : telle fille-mère a failli par légèreté, telle autre par besoin ; chez celle-ci, la conscience n’est pas morte, elle n’est qu’endormie ; chez celle-là, le remords et la honte menacent les jours de l’enfant ; il y en a peut-être qui ont secoué toute pudeur. Qui ménagera toutes ces nuances ? Nous parlons, les femmes agissent. Elles sont douées d’une pénétration merveilleuse pour entrer dans chaque souffrance. Leur charité distribuera à l’une un secours, à l’autre un conseil ; leur voix réveillera celles-ci de leur somnolence morale, épargnera à celles-là l’humiliation d’un aveu. Quand elles ne pourront sauver la mère, elles chercheront toujours à sauver l’enfant. Une fille a-t-elle résolu d’exposer son nouveau-né, elles feront semblant de consentir à la nécessité qui lui dicte cet arrêt fatal ; elles l’engageront seulement à le conserver durant une semaine. Gagner quelques jours avec la nature, c’est gagner tout. Le sentiment maternel a besoin d’être mis à l’essai. Presque toutes les femmes qui abandonnent et qui sacrifient leur enfant n’ont pas eu le temps de l’aimer. Ont-elles fait une fois l’apprentissage des devoirs de mère, elles y trouvent un charme qui les retient et qui les attache pour l’avenir à leur nouveau-né. L’indifférence vaincue, il faudra combattre encore la honte qui pousse au délaissement. Si l’enfant n’est pas la faute, il en est du moins la révélation ; c’est cette révélation que l’on hait, qu’on veut écarter de ses propres regards, et surtout des yeux du monde. Une morale éclairée fera comprendre à ces malheureuses que, si leur conduite de fille est peu digne d’éloge, leur conduite de mère peut leur mériter plus tard l’estime et le pardon. C’est rendre service aux filles-mères que de les forcer à élever leur nouveau-né : elles s’en détachent dans un premier moment de honte, de gêne ou d’indifférence ; mais plus tard quels regrets ! En venant à leur secours, on leur ménage un soutien, une consolation pour l’avenir. Ce n’est point dans le tourbillon des plaisirs, souvent même des désordres, que la voix de la nature se fait entendre. Les sentimens maternels sont plus lents à naître chez ces filles dissipées que chez les autres femmes ; mais quand la jeunesse, l’âge des étourdissemens, a cessé, quand les adorateurs se retirent, on se souvient amèrement de l’enfant qu’on a mis au jour. C’est alors que le cœur parle, malheureusement il est trop tard. Où le retrouver ? Cet enfant ne repoussera-t-il pas d’ailleurs les bras qui l’ont lui-même rejeté ? On le craint, et la solitude, une solitude