Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/1040

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la somme fixée par le conseil-général pour secours aux filles-mères n’a pas dépassé 2,000 francs. Qu’est-il arrivé ? Une de ces malheureuses, hors d’état de payer des mois de nourrice et ne pouvant rien obtenir de la charité étroite du conseil, a assassiné son enfant. A Paris, l’administration vient aussi d’entrer dans la voie des secours ; mais elle y est entrée avec parcimonie. Il est à désirer qu’elle y entre plus largement, si elle tient à tarir la source des expositions. Peut-être sera-t-il même nécessaire, dans les commencemens, de dépasser les ressources de l’ancien budget : ce sont des avances qui se retrouveront plus tard. Il faut aller tout d’abord les mains pleines de secours au-devant des besoins, car chacun de ces secours d’argent, c’est peut-être un crime de moins, c’est à coup sûr une vertu de plus dans la société. Jamais aumône ne descendit sur une meilleure terre. N’oublions pas en outre que le nouveau système aura à combattre des habitudes funestes, n’oublions pas qu’il s’agit de désapprendre aux filles-mères le chemin des tours. Une telle œuvre ne peut être le fruit que de nombreux sacrifices. Quand le fatal penchant à l’abandon des enfans sera redressé, quand le torrent impur qui entraîne aujourd’hui tant de nouveau-nés à l’oubli et à la mort aura changé de cours, alors, mais alors seulement, l’état pourra refermer ses mains. Ces sacrifices passagers trouveront d’ailleurs une compensation morale dans les devoirs et dans les sentimens de famille qu’ils feront refleurir. Quelques moralistes se sont effrayés de ces secours, qu’ils regardent comme une prime d’encouragement offerte au libertinage. Dans le sujet délicat qui nous occupe, les nuances sont tout : il ne faut pas encourager les filles à devenir mères ; mais, une fois qu’elles le sont, il faut leur prêter assistance pour leur ôter l’envie d’effacer par un crime les traces de leur faiblesse. Les indemnités que leur servira l’administration ne seront point des motifs pour réitérer une première faute. L’homme qui tend la main à son semblable tombé sur le bord d’un abîme ne l’engage pas pour cela à recommencer sa chute ; il l’aide au contraire à se relever, et lui inspire ainsi l’effroi du danger qu’il a couru.

Nos vues ne sont pas des utopies : un administrateur distingué, M. Curel, préfet du département des Hautes-Alpes, les a mises en pratique, et il a réussi à éteindre dans sa localité le fléau des expositions. Le tour existe encore, mais on ne s’en sert plus ; il est fermé en principe. Objectera-t-on contre un tel résultat que le nouveau système ne s’est guère exercé jusqu’ici que sur une population restreinte et connue ? Sans doute, le département des Hautes-Alpes n’est pas la France,