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est sans doute pénible de voir l’humanité de certains départemens qui ont conservé l’usage des tours punie et imposée par d’autres départemens plus économes qui l’ont aboli. Cet état de choses fâcheux ne démontre-t-il pas d’un autre côté que les tours sont encore nécessaires, puisque les expositions, trouvant la voie fermée sur un point, se répandent ailleurs, et vont même quelquefois chercher l’entrée libre d’un hospice à une grande distance ? L’anéantissement de ces institutions muettes et charitables n’a guère abouti jusqu’à ce jour qu’à déplacer le mal. Malgré cet enseignement des faits, l’administration des hospices de la ville de Paris s’est laissé entraîner dans la voie des tentatives par le mouvement des provinces. Nous résumerons en deux mots notre jugement sur ces essais. Le déplacement est une mesure violente ; l’échange compromet le peu d’existence civile qui reste aux enfans trouvés[1]. La fermeture des tours, à Paris surtout, est une expérience téméraire qui peut amener de grands malheurs. On sème l’économie ; on récoltera le crime. L’administration avoue elle-même qu’elle va agir sur l’inconnu, mais elle veut agir. Nous avons bien le droit de trembler sur le résultat, quand on songe que de telles expériences administratives ont pour matière ce qu’il y a de plus faible, de plus innocent, de plus digne d’intérêt, l’enfant qui vient de naître.


III – PROJET DE REFORME : LES SECOURS A DOMICILE – LES CRECHES

Si nous blâmons le caractère étroit et coercitif des nouvelles mesures, s’ensuit-il que nous réclamions le maintien de l’ancien système ? Non en vérité. Le tour est loin de répondre à tous les besoins. Nous venons de combattre les adversaires de cette institution, qui veulent la détruire subitement ; nous devons combattre aussi les partisans exclusifs des tours, qui veulent les maintenir contre le progrès des idées. « Ingénieuse invention de la charité, s’écrie M. de Lamartine, qui a des mains pour recevoir et qui n’a point d’yeux pour révéler ! » Nous ne voulons pas, pour notre compte, d’une charité aveugle. Laissons à cette vertu chrétienne son cœur, ses entrailles de mère, mais enlevons-lui son bandeau. Nous avons besoin à l’avenir d’une charité qui raisonne et qui aime. Ce n’est plus seulement à réparer le mal causé par les expositions, c’est à le prévenir qu’il faut maintenant travailler.

Pour certains moralistes, le tour doit être conservé comme un châtiment.

  1. Le déplacement n’a jamais eu lieu pour les enfans de l’hospice de Paris, qui se trouvent dispersés en nourrice sur presque toute l’étendue du royaume.