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l’infanticide était le plus souvent un acte de délire. Il n’en est pas de même de l’avortement. Ce dernier crime se commet souvent de sang-froid ; il est volontaire, réfléchi, prémédité. La femme qui s’y livre, quoique entraînée par de perfides conseils, a eu le temps de calculer les chances de sa situation et les motifs de cet acte. Il y aurait donc de l’entêtement à soutenir que le plus ou moins d’obstacles apportés à l’abandon des enfans nouveau-nés n’exercera aucune influence sur l’extinction de ces enfans dans le ventre de leur mère.

Les départemens étaient déjà engagés dans la voie des épreuves et des tentatives, que la ville de Paris hésitait encore. Une expérience avait été faite néanmoins durant les deux derniers mois de l’année 1837 et les deux premiers mois de 1838. Cette expérience fut courte : le résultat n’en fut pas heureux. On avait fait garder le tour durant la nuit par deux sergens de ville : les expositeurs, trouvant l’entrée de l’hospice fermée ou du moins contrariée, ne se déconcertèrent nullement. On déposa les enfans çà et là aux environs de la maison de la Maternité. Des accidens survinrent, et la mesure fut retirée. Aujourd’hui le conseil des hospices demande au conseil-général de la Seine le rétablissement du système essayé en 1837 pour la réception des enfans dans l’hospice. Un projet de règlement est voté. On n’a pas osé détruire le tour de Paris. L’administration a inventé un moyen mixte, qui, tout en respectant l’existence matérielle de ce cylindre de bois, en rend l’usage illusoire. Des agens de l’hospice auront les yeux sur le tour : chaque déposant qui aura le courage d’affronter la présence de ces agens sera interrogé sur l’origine du nouveau-né, sur la mère qui lui a confié la mission de l’apporter, et sur les motifs de cet abandon. On voit jusqu’où peut remonter une telle enquête. Cette invention du tour surveillé ne nous semble pas heureuse : elle enlève à l’institution son caractère. Quelle a été la pensée du fondateur ? C’est de couvrir d’un voile impénétrable l’acte d’abandon du nouveau-né. Du moment que vous ôtez ce voile, vous ôtez le tour. Ce que nous avons dit de l’admission à bureau ouvert retrouve ici son application. La nécessité de fuir la lumière et les regards agit plus qu’on ne le croit sur les natures timorées. Voici, à ce propos, un fait que nous pouvons garantir. Une fille-mère, réduite à l’isolement et à la misère la plus affreuse, était sur le point de perdre son enfant après s’être perdue elle-même. Une nuit, elle s’engage d’un pas tremblant dans cette longue et tortueuse rue d’Enfer, toute pleine de ténèbres. Elle arrive devant l’hospice. Sa conscience troublée donne une voix au moindre bruit du vent, au moindre mouvement des feuilles. Pleine d’hésitation et de crainte,