Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/103

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


« Certes, vous en usez d’ailleurs fort à votre aise ;
Je vous dis : Respirez, et vous absorbez tout.
Si je vous laissais seul ici, qu’à Dieu ne plaise !
De mes trésors bientôt on vous verrait à bout.
Mozart, Cimarosa, Beethoven, Pergolèse,
Ce serait à mourir asphyxié du coup !

« Il faut, à ce propos, que de miss Sensitive
Je vous conte, mon cher, un acte fabuleux :
Figurez-vous qu’un soir, la nonnette aux yeux bleus,
Comme j’étais absent, dans cette chambre arrive,
Vide en son arrosoir mes philtres merveilleux,
Et court en inonder les fleurs qu’elle cultive.

« O douleur ! voyez-vous Mozart et Beethoven,
Ce collyre enchanté, cette ame souveraine,
Que mon art des chefs-d’œuvre extrait à si grand’peine
Pour l’employer ensuite à quelque but divin,
Servir, ni plus ni moins que l’eau de la fontaine,
Pour rafraîchir le pied des lys de mon jardin ? »

— « Voilà bien, en effet, qui n’est pas ordinaire,
Repris-je en souriant ; j’aime l’invention.
Mais qui sait, après tout, si la visionnaire
N’expérimentait point en cette occasion ?
Sans doute, à votre exemple elle aura voulu faire,
Et trouver à son tour quelque combinaison.

« Plus d’un secret échappe à nos regards myopes
Que l’œil du somnambule aussitôt va saisir.
Si les fleurs qu’elle arrose avec votre élixir
Miraculeusement éclataient en syncopes,
Dites, si, grace à vous, le monde allait ouïr
Chanter les dahlias et les héliotropes !

« Oh ! le charmant concert ! L’entendez-vous d’ici ?
Le lys enamouré, frais ténor, beau Léandre,
Phrase languissamment son : Pria che spunti.
La rose lui répond par un chant doux et tendre,
Et le vieux tournesol, jaune comme Cassandre,
Chevrote dans son coin un motif de Grétry.