Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/102

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


— « Prenez sur l’étagère à votre fantaisie,
Me dit le maestro ; de notre pharmacie
Débouchez, sans scrupule, une fiole au hasard,
Quelqu’un de ces flacons merveilleux où mon art
Goutte à goutte concentre, ainsi qu’un divin nard,
L’esprit de la musique et de la poésie. »

Je pris sur la tablette un petit flacon vert
Dont l’éclat d’émeraude attirait ma paupière ;
Et, voyez le prodige ! à peine l’eus-je ouvert,
Qu’un sauvage parfum se répandit dans l’air,
Je ne sais quelle odeur de chêne et de bruyère,
Quelle étrange senteur vivace et forestière !

Effet surnaturel ! je crus voir dans les bois
La lune se lever, et flotter la bruine
De la source qui tombe au creux de la ravine ;
— « Écoutez, écoutez ! m’écriai-je ; trois fois
A retenti le cor, et la chasse est voisine ;
La meute fantastique emplit l’air de sa voix.

« Les hiboux effrayés hurlent dans leur simarre,
Et sous le noir taillis où s’engouffre le vent
S’élève d’un réchaud une flamme bizarre ;
La cascade en rumeur s’enfle et devient torrent.
Hurra ! j’ai vu la biche, au son de la fanfare,
Traverser le chemin, une balle à son flanc.

— « Tout beau ! s’écria Franz ; arrêtez, camarade ;
Vous avez respiré le flacon de Weber,
Et je vois qu’il est temps, comme dans la ballade,
Que le maître-sorcier lève sa main dans l’air !
Voyez, il n’est ici ni torrent ni cascade,
Et jamais à Florence on n’eut un ciel plus clair !

« Ah ! diable, la liqueur est tout évaporée ;
Ne pouviez-vous donc pas remettre le bouchon ?
Il va m’en coûter cher pour votre illusion.
N’importe. Seulement assez pour la soirée.
Je craindrais de vous voir la cervelle enivrée,
Si vous recommenciez sur un autre flacon.