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la naissance dans la maison d’accouchement peut favoriser bien des désordres. Il faudrait que les sages-femmes fussent d’une moralité au-dessus de toutes les séductions pour ne trahir jamais le secret qui leur est confié, pour détourner du libertinage la jeune fille timide qui vient réclamer leur secours une première fois. À ces conditions, leur ministère mériterait vraiment la reconnaissance publique. En est-il ainsi ? Existe-t-il beaucoup de sages-femmes honnêtes, charitables, discrètes, qui soient pour la jeune fille séduite des sœurs aînées, et qui cherchent à la ramener aux bonnes mœurs tout en soulageant sa souffrance ? Avant de répondre à cette question, nous devons rechercher la source à laquelle l’institution des sages-femmes se renouvelle constamment dans les grandes villes.

Il nous en coûte de le dire : cette source est impure. Des filles qui ont vécu du théâtre ou de la débauche finissent d’ordinaire par prendre, en désespoir d’amans, une profession qui n’exige pas de grandes études[1]. Voilà les mains, au moins suspectes, entre lesquelles plus d’une jeune fille séduite, mais encore intéressante après sa faute, vient remettre ce qu’elle a de plus précieux au monde, son honneur et son enfant ! Qui ne tremblerait pour l’un ou pour l’autre de ces trésors, surtout quand il est si aisé d’en trahir le dépôt ? C’est à peine si une moralité vigoureuse résisterait à des épreuves aussi délicates, aussi répétées ; comment espérer que l’honnêteté douteuse ou tout au moins bien novice de ces femmes sortira d’une telle entreprise avec les honneurs de la guerre ? Voyons maintenant si l’expérience justifie nos craintes.

Il semble d’abord que les sages-femmes devraient être plus nombreuses dans les endroits où l’on a le plus besoin de leurs services. L’administration l’a voulu ainsi, mais le contraire arrive, et ce fait seul nous met sur la trace des abus que cache leur ministère. Les sages-femmes sont très nombreuses à Paris et dans les grandes cités, où les secours de la médecine sont prompts et faciles ; elles sont rares dans les petites villes, où ces secours sont moins à la portée de tous les habitans ; elles manquent enfin dans les hameaux, où leur entremise serait la plus utile à cause de l’absence des hommes de l’art. Ces femmes recherchent évidemment les grandes villes, parce que les grandes villes sont des foyers de libertinage. Il n’est personne qui,

  1. Ceux qui ont été à même d’observer les mœurs des habitans de la campagne savent fort bien que les femmes qui ont souvent été mères sont regardées comme très capables d’assister et de conseiller les jeunes femmes en travail dans les hameaux où la médecine n’est pas encore représentée. Ce sont les matrones.