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des enfans naturels. Suivant MM. Terme et Montfalcon, l’extrême misère peut contraindre une femme, bonne mère d’ailleurs, au délaissement de son nouveau-né : ils en ont vu des exemples. L’abbé Gaillard croit même que cette cause agit presque seule sur l’abandon des enfans nés dans le mariage. Les médecins qui ont eu l’heureuse mission d’assister de pauvres femmes du peuple dans les travaux de l’enfantement ont presque tous été témoins de scènes navrantes. Quelques-unes accouchent sur la paille dans des greniers. Le médecin est obligé d’envoyer chercher de vieux linges tour envelopper l’enfant, qui sans cela eût été porté tout nu à l’hospice. Ces femmes fondent en larmes et en sanglots quand elles voient leur nouveau-né s’éloigner d’elles. Il est rare qu’elles permettent son enlèvement sans se ménager par quelques signes le moyen de le retrouver un jour : dernière précaution bien touchante de la part d’une malheureuse mère qui se voit à ce point abandonnée de Dieu et des hommes ! L’espérance, ce sentiment dont la religion a fait une vertu, est, dans le cœur de la femme contrainte d’abandonner son enfant, quelque chose de plus encore : c’est la foi en une Providence qui protège les petits de l’oiseau sous l’aile de leur mère. Hélas ! il arrive trop souvent que l’oiseleur arrache pour toujours la couvée du nid et que le besoin enlève à jamais l’enfant du berceau.

Un ordre de causes moins connues comprend celles qui supposent l’action d’une volonté étrangère à celle de la mère. Sur ce terrain, c’est le père que nous rencontrons d’abord. Il faut le dire à son honneur, la femme se résigne moins aisément que l’homme à l’abandon de son enfant. Presque toujours sa résolution a été forcée, soit par l’éloignement du séducteur, soit par les conseils de l’amant ou du mari. La position abaissée de la femme dans les classes ouvrières est une des causes morales qui contribuent le plus à peupler nos hospices d’enfans trouvés. Une malheureuse accouche-t-elle sur un grabat, souvent l’homme sera assez lâche pour lui faire un crime de sa fécondité. En général, ces pauvres créatures accueillent ces grossières offenses avec un murmure timide et patient. Le père annonce hautement la résolution de mettre le nouveau-né à la charge de l’hospice : la mère désire le conserver, elle le ferait si elle était seule ; mais la crainte d’aggraver par sa résistance une position déjà si affreuse et d’encourir tout-à-fait la disgrace de son mari l’emporte sur le sentiment maternel : elle se résigne. Accoutumée à fléchir dans toutes les actions de la vie, elle obéit cette fois encore en gémissant. Il n’est pas rare que le mari se charge de porter lui-même l’enfant dans le tour. Quelques