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partout où il se présente on le respecte, on l’honore comme un vrai seigneur[1]. » Dans une des dernières rencontres, au siège de Mexico, le commandant des Espagnols ayant demandé quelques nobles qui vinssent parlementer avec lui, « nous sommes tous nobles, » lui répondirent les Aztèques.

Les princes aztèques avaient institué chez eux des distinctions tout-à-fait semblables aux ordres de chevalerie, ayant leurs insignes particuliers et leurs privilèges spéciaux. Il parait même qu’il y existait un grade inférieur qu’il fallait avoir acquis pour porter des ornemens sur sa personne. Jusque-là on était forcé de se vêtir d’un tissu grossier fait avec la fibre de l’aloès. Les membres de la famille impériale eux-mêmes étaient en cela soumis à la loi commune. Ainsi dans la chevalerie du moyen-âge on n’avait le droit de bannière et celui d’inscrire une devise sur son écu, on n’était en un mot chevalier qu’après s’être signalé par quelque fait d’armes. Ces ordres militaires des Aztèques étaient accessibles à tous, sans distinction de naissance. Les empereurs eux-mêmes n’étaient membres de quelques-uns de ces ordres qu’à certaines conditions. Des institutions semblables existaient chez tous les voisins des Aztèques.

On trouve des traces de l’esprit chevaleresque entendu à l’européenne dans plusieurs de leurs usages. Ainsi, pendant des guerres acharnées entre les Aztèques et les gens de Tlascala, les nobles aztèques faisaient passer aux seigneurs tlascaltèques du coton, du sel, du cacao, toutes choses que le pays de ceux-ci ne fournissait pas et qu’ils ne pouvaient, une fois en guerre, se procurer du dehors, parce que le territoire de Tlascala était enclavé entre les provinces aztèques. Ces envois étaient accompagnés de paroles courtoises. Il n’en résultait cependant rien de contraire à l’honneur ; de part et d’autre, après ces politesses, on s’égorgeait le plus bravement du monde sur les champs de bataille.

Les lettrés, si je puis employer l’expression chinoise, étaient en grande considération. Nous avons vu comment les rois se mêlaient à eux sur le pied d’égalité dans des corps analogues à nos académies. Le commerce proprement dit était une profession particulièrement honorée ; les commerçans allaient en caravanes nombreuses, bien armés. Ils rendaient à l’état des services de plus d’une sorte, par les renseignemens qu’ils rapportaient, non moins que par les richesses

  1. Relation d’un gentilhomme de la suite de Cortez. (Collection Ternaux, p. 55 du volume intitulé : Pièces relatives à la conquête du Mexique.)