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pourrait comparer ceux qu’on voit en Europe en pleine terre ni même dans les serres ; c’est le maguey, dont le jus flatte le palais mexicain et enrichit le fisc, et qui a conservé de même la plupart des usages qu’il avait parmi les Aztèques. Ainsi, par exemple, on n’a pas cessé d’en faire du papier[1]. Le maguey et le nopal (cactus) sont les deux plantes caractéristiques du plateau mexicain. Dans la partie inculte du plateau, d’immenses espaces n’offrent à l’œil que des magueys ou des nopals isolés ou en bouquets épars, végétation étrange et mélancolique, qui reste insensible au souffle des vents au lieu d’y répondre, en se balançant, par le frémissement de nos forêts, et qui, par cette rigidité, ferait croire au voyageur, lorsqu’il a perdu de vue les villages, qu’il traverse un de ces pays dont il est question dans les contes de fées, où un génie courroucé a pétrifié la nature.

L’agriculture mexicaine connaissait l’art des irrigations. Des canaux qu’on a laissé combler depuis la conquête répandaient une admirable fertilité sur des terres étendues. L’art forestier était connu et pratiqué. Des règlemens sévères empêchaient la destruction des bois dans la vallée de Mexico. Les princes mexicains avaient reconnu l’utilité des forêts pour tempérer les ardeurs de l’été, et pour maintenir les cours d’eau nécessaires à l’arrosement. Inférieurs en cela encore à leurs devanciers, les Espagnols ont porté sur le plateau mexicain cette horreur des arbres qui leur vient peut-être des peuples pasteurs d’où ils descendent, et qui a fait du plateau des Castilles la plus nue et la plus triste des plaines. Aujourd’hui le bois manque au Mexique pour le traitement des mines d’argent les plus riches de l’univers, et il a fallu que le génie de l’homme y suppléât en imaginant une méthode d’extraction de l’argent à froid, où, au lieu de combustible, on fait intervenir du mercure, du sel, de la chaux et un autre ingrédient minéral appelé magistral.

Si l’agriculture mexicaine avait de grandes richesses végétales, elle était, quant au bétail, d’un extrême dénuement. Au Mexique, on ne possédait aucune bête de somme ; le bœuf, le cheval, l’âne et le chameau y manquaient complètement[2], et c’est une preuve positive

  1. M. Prescott cite deux fabriques de papier de maguey.
  2. Il n’est pas rigoureusement exact de dire que l’Amérique n’eût ni bœufs, ni moutons, ni chèvres. L’Amérique du Nord offre dans les grandes plaines de la vallée du Mississipi, et dans les vallées attenantes jusqu’à celles du Rio-Bravo del Norte, deux espèces de bœuf sauvage ; mais il y a loin de la vallée de Mexico au Rio-Bravo del Norte, et dans leurs migrations, en venant d’Atzlan, les Aztèques s’étaient tenus à l’ouest des régions peuplées de ces quadrupèdes. Dans les montagnes de la Nouvelle-Californie, il existe des espèces de chèvres et de moutons ; mais ces animaux, dont on n’a tiré aucun parti, sont confinés dans une presqu’île que les Aztèques non plus que leurs prédécesseurs ne paraissent point avoir visitée.