Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 9.djvu/975

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vassaux pouvant chacun mettre sous les armes cent mille hommes. Je suis disposé à admettre que, dans ces régions occidentales, on se permettait des hyperboles qui ne le cédaient en rien à celles de l’Orient, et je ne crois pas plus aux trois millions de soldats de Montezuma qu’au million d’hommes, amené par Xercès d’une rive à l’autre de l’Hellespont ; mais, à chaque instant, dans les lettres de Cortez et les récits de Bernal Diaz ou des chroniqueurs, on voit apparaître des troupes de soldats de quarante ou de cinquante mille hommes. Tout tend à prouver qu’alors le pays était plus populeux qu’aujourd’hui. On sait quel grand nombre d’hommes peut nourrir entre les tropiques une petite superficie. M. de Humboldt évalue ce que j’appellerai la puissance nutritive du sol cultivé en bananes à vingt-cinq fois celle d’une bonne terre à froment dans nos régions d’Europe[1]. La banane, à la vérité, ne vient pas sur le plateau même, dans la vallée de Mexico ; elle ne réussit que dans les terres moins élevées, dans ce qu’on nomme la terre chaude (tierra caliente), ou la terre tempérée (tierra templada) ; mais, sur les deux versans de l’Océan Pacifique et de l’Atlantique, l’empire aztèque avait une grande étendue de terre chaude et de terre tempérée, et, sur le plateau, dans la vallée de Mexico, qui est qualifiée de terre froide (tierra fria), quoiqu’on s’y passe de feu toute l’année, on avait le maïs, qui, entre les tropiques, rend jusqu’à huit cents grains pour un[2], et qui, alors comme aujourd’hui, sous la même forme de tortillas (crêpes), faisait le fond de l’alimentation publique. Les grandes villes étaient pressées les unes contre les autres. Tout autour du bassin des lacs dans ce splendide Anahuac[3], plus riant et plus magnifique alors qu’il ne peut l’être de nos jours[4], il y avait vingt cités de la magnificence desquelles on a gardé le souvenir. Outre la superbe capitale, sortant, comme Venise, du sein des eaux, c’étaient Tezcuco et Tlacopan, résidences de souverains ; Iztapalapan, fief du frère de l’empereur ; Chalco, Xochimilco, Xoloc, Culhuacan, Popotla, Tepejacac, Cuitlahuac, Ajotzinco, Teotihuacan, etc., presque toutes réduites aujourd’hui à de misérables villages,

  1. Voir l’Essai politique sur la Nouvelle-Espagne, t. II, p. 394.
  2. On estime que le rendement moyen du maïs au Mexique, bon an mal an, est de 150 grains pour un. 800 est un rendement extraordinaire et local.
  3. C’est le nom qu’avait reçu et que conserve encore le vaste plateau qui forme une bonne partie du territoire, actuel du Mexique, à cheval sur les deux grands océans. Il signifie voisin de l’eau, à cause des lacs qui en occupent le centre.
  4. Parce que les Espagnols, dans le but de mettre Mexico à l’abri des inondations, ont à demi desséché les nappes d’eau et mis à nu une terre imprégnée de sel où rien ne peut venir.