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en chantant d’un ton dégagé quelques vers d’une vieille ballade sur l’enchanteur Montesinos : « Ceci est la France, Montesinos, ici est Paris la grande ville, ici le Duero qui se jette dans la mer, » comme s’il eût voulu exprimer que l’expédition venait d’atteindre enfin un grand empire.

C’était Cortez, qui, après avoir touché à Cozumel et avoir fait une rude campagne contre les Indiens de la province de Tabasco dans la presqu’île de Yucatan, s’était tourné vers les rivages mexicains, où déjà Grijalva avait mis le pied, et quelques-uns des compagnons de ce dernier étaient avec lui. La relation de ce navigateur, les renseignemens recueillis par Cortez dans le Yucatan, et les vagues rumeurs semées dans les îles du voisinage s’accordaient à dire qu’on trouverait sur ces rivages un peuple plus industrieux que tout ce qu’on connaissait alors de l’Amérique, et chez ce peuple beaucoup d’or. Lorsque Cortez, à la vue de quelques ornemens en or parmi les gens de Tabasco, leur avait demandé d’où cela venait, on lui avait constamment répondu : de Culhua ; c’était le Mexique.

Cortez et ses compagnons s’étaient placés dans la nécessité de se signaler par de grands exploits. Ils avaient commis une faute qui, à moins d’actions d’éclat, ne pouvait s’expier que sur un gibet pour les chefs, dans les présides pour la foule. Ils étaient partis de Cuba en état flagrant de rébellion. Sur le récit de Grijalva, qui, en différens points de la côte mexicaine, avait eu des entrevues avec les naturels, avec des officiers de Montezuma, et avait échangé des verroteries et autres menus objets de production européenne contre de beaux ouvrages en or, le gouverneur Velasquez avait organisé une expédition formidable pour ces temps et pour une colonie naissante telle qu’était Cuba, et en avait confié le commandement à Cortez. Celui-ci avait, dans cet armement, engagé tout son avoir. Un matin au lever du soleil, le 18 novembre 1518, Cortez, prévenu que Velasquez, dont on avait excité la jalousie, s’apprêtait à lui ôter la conduite de l’entreprise, mit à la voile de San Yago de Cuba sans prendre congé, d’accord avec ses lieutenans. Velasquez averti était accouru sur le rivage assez à temps pour voir Cortez prêt à donner le signal et pour s’entendre demander ironiquement ses ordres. De là l’audacieux aventurier était allé continuer ses préparatifs et recruter sa petite armée dans d’autres ports de l’île, à Macaca, à Trinidad, à la Havane, toujours suivi par les anathèmes impuissans et les vains mandats d’arrêt de Velasquez, toujours embauchant des hommes et enlevant des approvisionnemens et des munitions. Il était donc un révolté, un séditieux, un bandit. Il