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fait n’est qu’un symptôme, avec bien d’autres, qui indique le peu de souci du parti triomphant pour la véritable liberté ; mais que lui importe ? il a réussi. Le peuple croit en lui : il y croira jusqu’à ce que l’expérience soit faite. Il ne reste plus qu’à souhaiter que l’expérience ne soit ni trop longue ni trop dure.

Berne a donc atteint son but et reconquis son ancienne province. Genève, quoique attaqué par les mêmes moyens, a jusqu’ici résisté. Pourra-t-il résister jusqu’au bout de la crise actuelle, et ne devra-t-il pas, comme appoint nécessaire à la majorité en diète, faire volontairement son sacrifice ? Ce serait sans doute immoler l’avenir au présent ; mais il est des situations où tout semble permis pour conserver la paix.

Maintenant, les résultats ne peuvent tarder à se montrer, soit en Suisse, où la loi du plus fort s’établit ainsi au-dessus de la justice, où les grands cantons vont opprimer les petits leurs aînés, soit à l’intérieur du canton de Vaud, où un grand conseil, sorti de la révolution, va réviser toutes les lois et même la constitution qui leur sert de base. Aucune conjecture n’est possible. Les corps-francs, la diète, les cantons armés, tout cela est en présence. Dieu veuille pour la Suisse qu’il ne soit pas nécessaire de recourir à l’intervention étrangère !




Le Théâtre-Français a donné mardi dernier une comédie nouvelle. Le Gendre d’un Millionnaire est une comédie en cinq actes, en prose, où figurent des gens de notre connaissance. Un homme d’affaires enrichi, et qui est fier de sa fortune comme un Rohan de ses armoiries ; un pauvre jeune homme ambitieux, qui n’a rien et aspire à tout ; une jeune fille, — la fille du riche parvenu, — étourdie et vaniteuse, qui, se croyant à la veille d’épouser un vicomte, s’écrie : que vont dire mes amies de pension ? une autre jeune fille, simple, modeste et qui a du cœur, — il y en a encore, — et de plus, un brave garçon, l’honnêteté même, sans prétention aucune et qui a une bonne étoile, voilà le personnel au complet de la nouvelle comédie, et certes ce sont là des personnages, y compris le dernier, que nous avons rencontrés d’autres fois, et qui, à coup sûr même, étaient dans la salle le jour de la représentation. Qu’on ne crie pas d’abord à la vulgarité ! car il serait facile de riposter par de grands exemples. Si le poète dramatique prend des personnages connus pour les jeter dans une action qui ne l’est pas, et leur faire, parler une langue naturelle et originale ; s’il trouve le moyen de nous amuser beaucoup sur les planches avec des gens qui nous ennuieraient beaucoup ailleurs, faut-il se plaindre ? Non, même quand on n’exécuterait que la moitié du programme, car si en ce moment nous étions si difficiles en matière de comédie, il faudrait se contenter du vieux répertoire, ou éteindre la rampe et mettre la clé sous la porte.

La pièce jouée l’autre soir roule sur une idée assez originale. L’homme enrichi, qui ne veut se dessaisir ni de sa fille, ni de son argent, a calculé tous