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dizaine de voix ! En second lieu, s’il y a des gens qui peuvent se réjouir de la situation actuelle ce sont les ennemis même du gouvernement de juillet, car ils ont tout à gagner au discrédit de ce gouvernement. Un ministère qui ne peut vivre ni mourir, un pouvoir condamné à l’immobilité, une chambre où la majorité n’existe pas, des discussions sans fruit, sans résultat ; l’inquiétude des esprits, la suspension de la vie politique et administrative, tout cela est fait pour contenter l’esprit révolutionnaire. Aussi, vous voyez que plusieurs membres des partis extrêmes ont appuyé le ministère dans les fonds secrets. Mais si l’esprit révolutionnaire peut se réjouir, il n’en est pas de même de l’esprit conservateur, qui est en grande majorité dans le pays comme sur les bancs de la chambre. La situation présente est funeste à ses intérêts. Il est urgent pour lui qu’elle ait un terme. Quand le pouvoir perd dans l’opinion, quand il n’agit pas, quand il traîne une existence précaire, quand il est à la merci des intérêts cupides et des passions aveugles, la cause du parti conservateur souffre de cet abaissement. Un pareil état de choses ne peut se prolonger. Le parti ministériel le sent lui-même ; il voit maintenant l’abîme où le ministère l’a conduit ; il voit la faute qu’il a commise en formant la réunion Lemardelay. Il reconnaît enfin qu’il ne peut éviter l’une de ces deux choses : ou la chute prochaine du ministère, ou la dissolution de la chambre au mois d’octobre. Le parti ministériel a dans les mains un moyen sûr d’empêcher la dissolution au mois d’octobre, et de l’ajourner à l’année prochaine. Ce moyen, l’emploiera-t-il ? Les esprits éclairés du centre droit, les ministériels inquiets et ébranlés, suivront-ils l’exemple que vient de leur donner l’honorable M. Hervé ? Que l’on consulte là-dessus le ministère. S’il dit ce qu’il pense, il répondra qu’il n’est sûr de rien.

Tandis que le pouvoir, en France, tremble devant les chambres, n’osant user de son initiative, et réduisant tout l’art de gouverner à rester immobile, on voit en Angleterre un homme d’état qui domine son parti par l’énergie de son caractère et la grandeur de ses vues. Les plans financiers de sir Robert Peel ne sont pas irréprochables. Lord John Russell les a justement attaqués sur plusieurs points : ses critiques ne seront point réfutées ; mais, à part certains détails qui disparaissent dans l’ensemble, il est impossible de ne pas admirer cette conception hardie au moyen de laquelle le ministre anglais change d’un seul coup le système financier de son pays. Ce qu’il y a de plus remarquable dans cette grande innovation, c’est qu’elle est pleine de sagesse et de prudence, en même temps qu’elle porte en apparence ce caractère d’audace qui agit puissamment sur l’imagination britannique. Sir Robert Peel supprime dans les revenus du trésor huit cent treize articles, évalués à plus de 83 millions de francs ; il proclame la liberté commerciale, mais il conserve l’income-tax, évaluée à plus de 85 millions ; il promet de la supprimer dans trois ans, mais il est évident que si les réductions opérées ne font pas rentrer au trésor par le développement de l’industrie et du commerce ce que le trésor abandonne, l’income-tax sera maintenue et prendra un caractère de perpétuité, Ce résultat probable est déjà admis dans la pensée de sir Robert