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recommencer. La lutte entre les systèmes va renaître. D’un autre côté, la commission du budget se montre sévère. Les dépenses de la marine excitent particulièrement son attention. Elle s’élève plus fortement que jamais contre les désordres de la comptabilité maritime. Elle critique le mauvais emploi des fonds votés par les chambres, les abus commis dans les ports, les vices des constructions navales. Ce sont là des difficultés administratives ; voici maintenant des difficultés politiques. Le projet de loi sur le régime des colonies ’a fait au cabinet une situation fausse vis-à-vis de la chambre des pairs. Une lutte s’est établie entre le gouvernement et la commission. Le gouvernement veut se réserver la faculté de pouvoir changer par ordonnance le régime intérieur des colonies, afin d’obtenir, au moyen d’une émancipation prochaine, la conclusion des démêlés sur le droit de visite. La commission de la chambre des pairs refuse son concours à cette combinaison, qui expose, dans un intérêt passager, la puissance coloniale de la France. Elle ne veut pas que le cabinet puisse dire à l’Angleterre : J’ai plein pouvoir pour émanciper les colonies françaises ; faisons un arrangement : je vous donne l’émancipation, donnez-moi la révocation des traités de 1831 et 1833. La commission ne veut point partager avec le cabinet la solidarité de ce compromis. On ne sait pas encore si la chambre pensera comme sa commission ; mais on peut prévoir dès à présent que le plan du cabinet rencontrera dans la discussion une vive résistance. A la chambre des députés, les crédits supplémentaires fourniront nécessairement l’occasion d’un grand débat politique. Les dépenses de l’Océanie figurent dans ces crédits ; c’est tout dire. Restent les circonstances imprévues, toujours menaçantes pour un cabinet qui a fait tant de fautes, et dont la base est si fragile. Reste aussi cette affaire de Portendick, dont l’opinion commence à se préoccuper, bien que les détails en soient peu connus. On sait seulement que là encore la France, condamnée par arbitrage, paie aux Anglais une indemnité de 44,000 francs ; avec le ministère du 29 octobre, il est toujours question d’indemnités. Tantôt il paie des indemnités qu’il ne doit pas, tantôt il ne sait pas se faire payer les indemnités qu’on lui doit. L’histoire l’appellera le ministère des indemnités.

Nous ne sommes pas alarmistes ; nous ne voulons pas charger les couleurs de la situation. Nous essayons de la dépeindre telle que nous la voyons, telle que le bon sens public la juge, telle que le ministère lui-même et ses amis l’envisagent quand ils ne parlent pas à la tribune ou dans la presse, et quand leur esprit n’est pas troublé par la mauvaise humeur que leur donnent les dissidens. Nous ne voulons pas rendre le tableau plus sombre qu’il ne l’est en effet ; mais nous ne voulons pas non plus inspirer aux autres une sécurité que nous n’avons pas. Nous cherchons à dire la vérité. Tout le monde comprendra que cette vérité est triste. Il y a deux sortes de gens qui peuvent se réjouir de la situation actuelle. D’abord, ce sont ceux qui spéculent sur les crises du pouvoir et qui l’abaissent à leur niveau pour mieux l’exploiter. Quelle fortune pour eux qu’un ministère dont l’existence dépend d’une